Le Plan arabe de reconstruction de la Bande de Gaza a-il des chances de succès ?
Date:
10 mars 2025
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Le 4 février dernier, le président américain Donald Trump a déclaré que son administration est résolue à prendre possession de la Bande de Gaza, à expatrier ses habitants vers les pays voisins et à transformer la bande sinistrée en une nouvelle « Riviera ». Cette déclaration, nommée «Trumpsfert» par certains médias, a provoqué un choc dans le monde Arabe et partout ailleurs, ainsi que l’appréhension de l’Egypte et de la Jordanie, estimant que l’afflux de centaines de milliers de Gazaouis menace leurs sécurité nationale.

Le 11février, le roi de la Jordanie Abdullah II, lors de son entrevue avec le président américain à Washington, a exprimé indirectement son refus du plan américain et confirmé que l’Egypte s’appliquait à élaborer un plan en vue de la reconstruction de la Bande de Gaza. Par la suite, un sommet arabe restreint a été tenu à Riyad, auquel ont participé les dirigeants des pays du Golfe, de l’Egypte et de la Jordanie. Un sommet élargi devait suivre pour examiner le plan qui sera proposé par l’Egypte, et le président Egyptien Abdul Fattah al Sissi a décidé d’ajourner sa visite prévue à Washington, préférant arriver à la Maison blanche avec un plan unanimement approuvé par les pays arabes.

Le sommet arabe adopte le plan égyptien

Le 4 mars, le sommet arabe tenu au Caire a adopté le plan égyptien, probablement inspiré de la reconstruction de Hiroshima et de Berlin. Il propose une première étape de six mois au cours de laquelle seraient évacués les décombres et déminé le terrain en vue de construire quelque 200,000 habitations provisoires, principalement des tentes et des logements préfabriqués, pour abriter plus d’un million et demi de personnes. L’étape suivante consiste à construire 400,000 nouvelles maisons et a réhabiliter des dizaines de milliers de maisons endommagées, et la troisième à reconstruire l’infrastructure, y compris 120 hôpitaux et cliniques, restaurer les terres arables, créer des zones industrielles, aménager des jardins publics, munir Gaza d’un port commercial, d’un port de pêche, d’un aéroport et de villages touristiques au bord de la mer.

Le coût du plan a été estimé à 53 milliards de dollars étalés sur 5 ans, ce qui est conforme à l’évaluation des Nations Unies. Les Etats arabes se sont convenus de créer un fond pour le financement sous contrôle international afin de garantir sa continuité et sa transparence, et probablement pour obtenir le soutien de la Banque mondiale. Ils ont en outre appelé à une large coopération internationale afin d’accélérer le processus. La Bande de Gaza serait selon le plan gouvernée pendant une phase transitoire par des technocrates palestiniens, qui auraient notamment pour tâche de gérer l’assistance humanitaire, en attendant que l’Autorité palestinienne réformée n’y reprenne le contrôle[1]. Le sommet arabe a évité de critiquer le plan du président américain et affirmé que Donald Trump « est capable d’instaurer la paix » dans la région, qui est « l’option stratégique des Arabes », tout en mettant en garde des « odieuses » tentatives visant à l’expatriation des habitants de la Bande de Gaza, et avertissant que « l’annexion d’une portion des territoires palestiniens occupés pousserait la région vers une nouvelle phase du conflit ». Le communiqué final du sommet incite le Conseil de Sécurité à déployer une force internationale à Gaza et en Cisjordanie, insiste sur la nécessité de préserver l’UNRWA et a condamné la décision prise par le cabinet israélien d’interdire l’entrée des fournitures humanitaires dans la bande de Gaza et le blocage des points de passage[2]

Quelles sont les mécanismes d’application du plan arabe ?

Alors que le mouvement «Hamas» a bien accueilli le plan de reconstruction adopté par le sommet arabe, qui affirme le refus des dirigeants arabes des tentatives d’expulsion des palestiniens hors de Gaza et de la Cisjordanie occupés, le président palestinien Mahmoud Abbas, dans son allocution devant le sommet, a déclaré que l’Etat de Palestine «assumera ses responsabilités dans la Bande de Gaza», à travers ses institutions gouvernementales, et qu’un comité d’action a été formé dans cette perspective, ajoutant que «l’appareil de sécurité de l’OLP jouera son rôle après la restructuration et l’unification des cadres de la Bande de Gaza et leur entrainement en Egypte et en Jordanie». Il s’est, par la suite, dit prêt à organiser l’année prochaine des élections présidentielles et législatives, « pourvu que les conditions soient favorables ». Il a en outre annoncé la création d’un poste de vice-président et une amnistie des dissidents du Fatah afin de les réincorporer dans le mouvement[3].

De son côté, le président Egyptien Abdul Fattah al Sissi, a établi un lien entre le plan de reconstruction et la réalisation d’une paix globale dans la région, cela après avoir affirmé, dans un tweet sur les réseaux sociaux, que les Arabes sont « ouverts à toute idée avancée par la communauté internationale susceptible de garantir le succès de ce plan qui devrait être appliqué parallèlement à un plan de paix plus élargi ». Il a ajouté qu’il est nécessaire « d’adopter un plan qui prévoit un règlement équitable de la question palestinienne, qui mettrait fin aux racines du conflit palestino-israélien, garantirait la sécurité et la stabilité des peuples de la région et instaurerait un Etat palestinien ». Le Caire a tout de suite après le sommet arabe agi en vue d’obtenir l’appui des Etats islamiques au plan de reconstruction de la Bande de Gaza. A cet effet, une réunion de l’Organisation de solidarité islamique s’est tenue le 7 mars à Djeddah, dans laquelle les ministres des Affaires étrangères des 57 pays membres ont exprimé leur soutien, en affirmant le droit du peuple palestinien à vivre dans son territoire. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui avait assisté au sommet du Caire, a déclaré de son côté que l’ONU « soutient fortement » le plan arabe. Et selon le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdul «la prochaine étape sera de transformer ce plan arabe en un plan international, en le faisant adopter par l’Union Européenne et par des pays comme le Japon, la Russie et la Chine », tout en restant en contact avec les Etats Unis.[4].

Réactions du gouvernement Israélien et de l’administration américaine au plan arabe

Le gouvernement Israélien a rejeté le plan arabe, et le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Oren Marmorstein, a déclaré que ce plan « ne tient pas compte de la situation », que le communiqué final du sommet « n’a pas mentionné l’attaque du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas, et n’a pas condamné ce groupe armé ». Il a ensuite réitéré le soutien d’Israël du plan Trump, le qualifiant d’« opportunité pour les habitants de Gaza ». Le ministère israélien des Affaires étrangères a considéré par la suite dans un communiqué que la déclaration du sommet arabe « se fie à l’Autorité Palestinienne et à l’UNRWA » qui soutiennent « le terrorisme », et qui n’ont pas réussi à résoudre la question Palestinienne. Avant d’ajouter que le mouvement Hamas ne peut garder le pouvoir et d’appeler les Etats arabes à entériner le plan du président Américain qu’ils auraient, selon lui, refusé sans lui avoir accordé l’attention qu’il mérite et qui ne cessent de porter contre Israël des accusations infondées. Dans son communiqué, le ministère a aussi incité les Etats de la région à « se libérer des chaînes du passé pour construire ensemble un avenir de stabilité et de sécurité »[5]. Le gouvernement Netanyahu s’était employé avant le sommet à faire pression sur l’Egypte, par le truchement d’abord de son ambassadeur à Washington, Yechiel Leiter, qui a prétendu que l’Egypte commet « de graves infractions » au traité de paix avec Israël, puis par les rapports publiés dans les médias israéliens et les réseaux sociaux, accusant l’armée égyptienne « d’envoyer des renforts au Sinaï, violant ainsi le traité de paix», et affirmant que Washington pourrait recourir « à des mesures économiques pour faire pression sur l’Egypte»[6].

Aux Etats-Unis, le porte-parole du Conseil national de sécurité à la Maison blanche, Bryan Hughes, a déclaré que le président Trump « s’en tient à sa vision audacieuse concernant Gaza après la guerre », mais il réserve un bon accueil « aux contributions de nos partenaires arabes dans la région, et il est clair que ses propositions ont encouragé ces Etats à rejoindre la table des négociations au lieu de laisser la situation se diriger vers une nouvelle escalade ». Pour lui, « la proposition arabe ne prend pas en considération que Gaza est actuellement inhabitable et que les habitants ne peuvent pas vivre humainement dans une région couverte de décombres et de mine… Le président Trump a bien expliqué que le Hamas ne peut pas garder le pouvoir dans la Bande de Gaza, et que nous aspirons à encore plus de discussions pour établir la paix et la prospérité dans la région »[7]. L’ancien secrétaire d’Etat adjoint aux affaires du Proche-Orient, David Schenker, qui avait joué un rôle important dans les « Accords Abraham », a qualifié le plan arabe d’ « insuffisant », et affirmé qu’il « ne présente pas de propositions concrètes concernant la sécurité, se contentant d’évoquer l’entrainement de la police et la présence de forces onusiennes de maintien de la paix – ce qui est, pour Israël et les Etats-Unis, inacceptable »[8].

Questions cruciales qui ont besoin de réponses en raison de la possible reprise de la guerre

Alors que les journaux arabes faisaient l’éloge du plan de reconstruction adopté par le sommet arabe, le journal Al-Ahram le considérant comme « une bouée de sauvetage » pour la cause Palestinienne, nombre d’observateurs ont exprimé leur doute concernant ses chances de succès. Car, outre le refus israélien et américain, des questions cruciales restent sans réponses, entre autres : Qui gouvernera la Bande de Gaza en fin de compte ? Le mouvement Hamas peut-il encore y jouer un rôle politique, et quel sort sera réservé à son armement ? Acceptera-t-il le retour de l’Autorité palestinienne à la Bande de Gaza avant de résoudre le problème de la scission palestinienne et d’élaborer ’une stratégie d’action commune, soutenue par toutes les forces palestiniennes, y compris le Fatah et le Hamas ?

En fait, le plan ne clarifie pas le sort réservé au mouvement Hamas et ses armes, et il parait qu’il n’existe pas d’unanimité arabe sur ce point, car certains pays refusent au Hamas tout rôle politique et optent pour son désarmement, alors que d’autres préconisent lune approche progressive pour traiter ce problème. Il est à noter que le Hamas lui-même refuse catégoriquement de poser ses armes, position affirmée par un de ses dirigeants, Sami Abou Zihri : « Toute discussion à propos de l’armement de la résistance est ridicule… Ces armes sont une ligne rouge, aussi bien pour le Hamas que pour tous les les bataillons de la résistance »[9].

En plus de l’absence dans le plan de structures de gouvernance et d’un cadre sécuritaire, il paraît que son financement, estimés à 53 milliards de dollars américains, reste incertain, car nous ne savons pas encore quels sont les pays qui vont débloquer ces milliards. Le président Egyptien a évoqué une réunion ministérielle qui se tiendra prochainement au Caire, en présence de l’Autorité palestinienne et des Nations unies, dans le but d’apporter des réponses à cette question[10]

En attendant, il faut veiller à ce que le cessez-le-feu soit maintenu dans la Bande de Gaza et se mobiliser pour empêcher le gouvernement de Netanyahu de reprendre sa guerre. Il a déjà interdit l’entrée de l’aide humanitaire, fermé tous les points d’accès, et menacé de couper l’électricité et l’eau, et il se dit prêt à poursuivre la guerre. À cet égard, selon un article publié dans le bulletin Selections from Hebrew Newspapers du 9 mars, cité par le Wall Street Journal, le gouvernement Israélien a effectivement adopté un plan selon lequel il serait possible d’envahir de nouveau la Bande de Gaza, lancer des raids aériens et des incursions terrestres et déplacer des centaines de milliers de Gazaouis qui sont retournés à leurs demeures détruites au nord de la Bande. Selon une source américaine, citée dans ce même article, le président Donald Trump était clair quand il a menacé le mouvement Hamas, le mercredi 5 mars, d’ouvrir « les portes de l’enfer » s’il ne relâche pas sur le champ les détenus israéliens[11].

Alors que son envoyé spécial Adam Boehler discutait directement avec le Hamas à Doha, Donald Trump menaçait : « Je fournirai à Israël tout ce dont il a besoin pour terminer le travail, et aucun membre de Hamas ne sera en sécurité si vous n’exécutez pas ce que je dis » Il s’est ensuite adressé aux habitants de la Bande de Gaza : « Un bel avenir vous attend, sauf si vous détenez des otages. Si vous le faites, vous êtes morts ! Soyez intelligents, relâchez les otages tout de suite, sinon vous le payerez très cher. ». Le ministre américain des Affaires étrangères Marco Rubio a incité aussitôt le Hamas à prendre au sérieux les avertissements de Donald Trump, déclarant à la Fox News : « Les gens ne réalisent pas que le président Trump est furieux, à juste titre… Trump ne dit pas ces choses-là sans les signifier, comme les gens le constatent partout dans le monde. S’il dit qu’il fera quelque chose il le fera, c’est pourquoi il vaut mieux qu’ils prennent ses paroles au sérieux »[12].

Finalement, indépendamment des chances de succès du plan, sa vraie valeur réside dans le fait qu’il élève un barrage arabe collectif face au plan de transfert américain. 

 

[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/05/le-plan-arabe-pour-contrer-le-projet-de-donald-trump-a-gaza_6576533_3210.html;

https://information.tv5monde.com/afrique/le-sommet-arabe-adopte-un-plan-pour-reconstruire-gaza-2764937

[2] https://www.sis.gov.eg/Story/174016/D%C3%A9claration-du-Caire-publi%C3%A9e-par-le-Sommet-arabe-extraordinaire?lang=fr

[3] https://www.leparisien.fr/international/israel/sommet-arabe-mahmoud-abbas-propose-le-retour-de-lautorite-palestinienne-a-gaza-04-03-2025-QYMH7LHHINHTJDSI3QBRJ4LHSU.php

[4] https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20250307-plan-arabe-pour-gaza-r%C3%A9union-des-pays-musulmans-en-arabie-saoudite

[5] https://mukhtaraat.palestine-studies.org/ar/node/36444

[6] https://mukhtaraat.palestine-studies.org/ar/node/36442

[7] https://fr.euronews.com/2025/03/05/sommet-arabe-un-plan-de-53-milliards-de-dollars-pour-reconstruire-gaza

[8] https://fr.euronews.com/2025/03/06/sommet-du-caire-le-plan-arabe-pour-la-paix-a-gaza-fait-debat

[9] https://www.lepoint.fr/monde/que-contient-le-plan-pour-gaza-adopte-par-les-pays-arabes-pour-contrer-le-projet-de-trump-05-03-2025-2583949_24.php;

https://fr.timesofisrael.com/rejetant-le-plan-arabe-trump-maintient-sa-vision-de-reconstruire-gaza-liberee-du-hamas

[10] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/gaza-face-aux-projets-de-trump-les-pays-arabes-adoptent-un-plan-de-reconstruction-2152136

[11] "افعلوا المطلوب لإعادة المخطوفين، دعم أميركي لإسرائيل في مواجهة تصلب حماس"، بقلم إيتمار أيخنر وعيناف حلبي، "يديعوت أحرونوت"، 9 آذار/مارس 2025؛ نقلاً عن نشرة "مختارات من الصحف العبرية"، الصادرة عن مؤسسة الدراسات الفلسطينية.

[12] https://mukhtaraat.palestine-studies.org/ar/node/36460