Au début de la guerre de Gaza, personne ne se serait attendu à ce qu'Amna al-Saadi - qui avait donné naissance à son premier enfant quelques jours plus tôt dans le camp de réfugiés de Jabalia et qui avait échappé de peu à la mort après le bombardement de sa maison familiale - meure finalement avec son nouveau-né, âgé de quelques jours seulement. Bien qu'elle ait survécu deux fois à la mort, cela ne signifie pas qu'elle a survécu pour toujours, et c'est ce qui est arrivé à de nombreuses autres personnes qui sont mortes pendant la guerre en cours après avoir été blessées et avoir tenté de se rétablir en se faisant soigner dans les hôpitaux disponibles ou dans les abris et les tentes pour personnes déplacées, La survie n'a pas toujours été leur alliée, car la mort les attendait, mais elle a retardé sa date quelque peu pour que nos cœurs souffrent pour elles.
Amna al-Saadi a donné naissance à son premier enfant dans le camp de Jabalia et est rentrée chez elle immédiatement car elle ne pouvait pas rester à l'hôpital en raison du grand nombre de blessés. La première nuit de son retour, sa maison a été bombardée et l'un des murs dévastés est tombé sur elle. Les voisins et les proches l'ont sortie des décombres avec le bébé, faible et sans défense, et tout le monde a fui vers une autre zone où elle a passé plusieurs jours avec son bébé dans la maison d'un parent. M celle-ci a été bombardée à son tour et, alors qu'Amna se remettait d'un bras cassé, elle a été forcée de fuir vers Shaykh Radwan avec l'aide de ses proches. Cette fois, toute la zone a été encerclée par plusieurs ceintures de feu, et Amna, grièvement blessée, est morte avec son nouveau-né dans ses bras, et toute sa famille a connu le même sort.
Chaque fois que nous pensons qu'une famille a survécu ou qu'un être cher a échappé à la mort, ce n'est qu'une question de temps car elle les rattrape. L'histoire du jeune artiste Shaaban al-Dalou et de sa famille en est un exemple. La famille s'est réfugiée dans une tente délabrée à proximité de l'un des rares hôpitaux encore en état de marche dans le centre de Gaza, l'hôpital des martyrs d'Al Aqsa. Là, Shaaban a contracté l'hépatite, une maladie virulente très répandue parmi les personnes déplacées à cause de la pollution de l’eau et de la promiscuité. Alors qu'il rêvait d'échapper à toute cette folie pour se rendre dans un pays où il pourrait gratter sa guitare en toute sécurité et envoyer un message de paix au monde, le bombardement du périmètre de l'hôpital et l'incendie d'un certain nombre de tentes l'ont conduit tué. Il est mort brûlé avec sa mère, une solution intraveineuse accrochée à son bras dans une vaine tentative de le guérir. Plusieurs membres de sa famille ont été blessés, et on a vu son frère en pleurs tenant un bracelet à la main grâce auquel il a pu identifier le corps de sa mère. Les blessées n’ont pas tardé à périr dans le gigantesque incendie qui a ravagé leur tente. La petite Farah est morte après son frère Abdel Rahman, et celui-ci après Shaaban et sa mère. Le père s’interroge douloureusement devant les caméras sur les raisons de toute cette cruauté. Il avait au moins que sa fille Farah reste en vie.
A Khuza'a, à l'est de Khan Younès, Mus'ab al-Shamlali est mort après avoir été blessé. Au début de la guerre, sa jambe a été amputée après un bombardement, et toutes les tentatives de la remplacer par une jambe artificielle ont échoué en raison du blocus de Gaza et du manque de moyens médicaux. Mus'ab a atrocement souffert des complications dues à l'amputation et, huit mois plus tard, il est mort sous les bombes avec d’autres déplacés.
Hamza Abu Qaynas, le ménestrel qui nous brisait le cœur en chantant des thrènes pour les martyrs, a été blessé au début de la guerre. Sa maison dans le quartier de Yarmouk a été bombardée et il a été contraint de fuir vers le nord de la bande de Gaza où il a continué à chanter malgré sa blessure jusqu'au jour où il est lui-même tombé en martyr lors d'un bombardement de la maison où il s'abritait. Hamza a rejoint les autres membres de sa famille qu’il avait pleurés de sa voix mélodieuse et émouvante. Il était passionné de chant depuis l'école primaire et on aimait l’écouter chanter à la radio de l'école, puis dans les stations de radio locales où il enregistrait des hymnes patriotiques et des chansons populaires.
Iyas Ramadan Abu al-‘Umarayn a miraculeusement échappé à la mort au début du mois de novembre 2023 quand la maison où il résidait dans le camp de Jabalia a été bombardée au cours de l’un des massacres les plus terribles à Gaza. Grièvement blessé par des éclats de missiles, il a assisté au martyre de certains membres de sa famille, jeunes et vieux. Mais dès qu’il a commencé à se remettre de ses blessures, la mort l’a rattrapé, lors d’un nouveau bombardement, dans la maison où il s’était déplacé plus au nord, laissant sa femme, ses enfants et son père âgé confrontés aux innombrables difficultés du déplacement et de la survie sous les bombes, situation qui perdure jusqu’à présent.
Si nous parlons des blessés et louons Dieu quand ils ne meurent pas, nous savons qu'il n'y a pas de survie définitive et que nous ne pouvons pas pousser un soupir de soulagement tant que cette guerre continue à faire rage et à broyer des gens chaque jour, et même chaque instant. Ceux qui restent en vie le matin et écrivent les nécrologies de leurs camarades sur les médias sociaux, leurs camarades survivants écriront leurs nécrologies quelques heures plus tard. A Gaza, il n’a de salut pour personne.