Avant la Première Guerre mondiale, les zones qui allaient former la Palestine soumise au mandat britannique comprenaient la Moutassarifat de Jérusalem, devenue indépendante du Wilaya de Syrie en 1874, avec Jérusalem comme centre, ainsi que les districts de Jaffa, Gaza, Hébron, puis Beersheba ; le Sandjak d'Acre, qui faisait partie du Wilaya de Beyrouth à l'époque, comprenant les districts de Haïfa, Safed, Nazareth et Tibériade et enfin le Sandjak de Balqa̕ qui faisait aussi partie du Wilaya de Beyrouth avec Naplouse comme centre et les districts de Jénine, Bani Saʽab et Jamaʽin.
Une identité multidimensionnelle
L'identité des habitants arabes de ces régions était multidimensionnelle combinant une allégeance centrale à la nation ottomane d'une part, et des allégeances secondaires à un « peuple palestinien » ou à une « nation arabe » d'autre part. L'idée d'une sécession arabe de l'Empire ottoman n'avait mûri qu'après la Première Guerre mondiale et le déclenchement de la révolte arabe contre les Turcs en juin 1916 par Hussein, le Shérif de la Mecque, sur la base de « promesses » britanniques.
L’allégeance centrale à la nation ottomane s'est exprimée dans la coexistence tolérante des musulmans, des Juifs et des chrétiens dans la Moutassarifat de Jérusalem, en particulier après la proclamation de la Constitution ottomane de juillet 1908. L'assemblée générale de la Moutassarifat, qui faisait office d'organe législatif, comprenait des représentants musulmans, chrétiens et juifs. Parmi ces derniers, à l'automne 1911, se trouvaient Haïm Effendi Eliyachar, un résident de Jérusalem, et Haroun Effendi Almani, un résident d'Hébron. Lorsque la loi de mobilisation des non-musulmans a été adoptée, de jeunes Juifs se sont portés volontaires pour servir dans l'armée ottomane. Lorsque, à l'automne 1908, la Moutassarifat de Jérusalem se préparait à élire trois représentants au Parlement ottoman, il y avait parmi les dix candidats Isac Levi, ancien inspecteur de l'agriculture dans les Wilaya de Syrie et de Beyrouth, et dans son programme électoral, il soulignait sa volonté de faire tout ce qui était en son pouvoir « pour continuer à servir les intérêts de la patrie en général et des terres palestiniennes en particulier ». Lors des célébrations organisées à Jérusalem par la Société de l'Union et du Progrès pour commémorer le premier anniversaire de la Constitution, Jacob Levi prononça un discours au nom de l'École normale israélite de Jérusalem, dans lequel il déclara : «Vous nous avez gracieusement invités à nous joindre à cette splendide fête nationale, à l'occasion de notre chère Constitution et nous avons accepté votre invitation... Comment ne pas le faire lorsque nous y voyons un véritable renouveau du concept d'unité et de fraternité parmi les jeunes générations de diverses religions et sectes » .
La montée du sionisme, la déclaration Balfour et l'occupation britannique de la Palestine ont conduit au sabotage de cette coexistence qui prévalait auparavant.
Contrairement au mythe sioniste fondateur, qui prétend que les habitants de la Palestine ne possédaient pas de caractéristiques nationales et culturelles propres , et qu'ils s'apparentaient davantage à des « Bédouins » nomades n’ayant pas de relation étroite avec la terre sur laquelle ils vivent, de sorte qu'ils pouvaient facilement la quitter ou en être chassés, leurs productions littéraires et artistiques de l'époque prouvent un attachement fort. Cet attachement se manifestait par la “palestinisation” de ces productions dans le cadre arabe, par la formation d'écoles nationales modernes, en particulier de l'école Rawdat al-Maʽarif et l'école nationale constitutionnelle de Jérusalem, ainsi qu’à travers les activités de certains clubs littéraires et sociétés scientifiques, professionnelles et caritatives.
L'art théâtral, par exemple, a été l'un des arts les plus développés dans la ville de Jérusalem, notamment grâce au rôle joué par de nombreuses écoles et associations qui ont formé leurs propres troupes d'acteurs et ont monté diverses représentations théâtrales classiques, historiques et « nationales ». Ces représentations théâtrales, auxquelles participaient des acteurs et parfois quelques actrices, avaient lieu dans des écoles, comme l'école Rawdat al-Maʽarif, ou dans des clubs et des forums, comme le Forum littéraire, ou dans certains théâtres, comme le Teatro Olympia ou encore dans des cafés. Il semble que ces représentations théâtrales aient été suivies par un bon nombre de personnes qui appréciaient cet art, certains écrivains lui reconnaissant un rôle dans le progrès social et appelant à réunir les conditions nécessaires à son développement. Par exemple, la «troupe de la Jeunesse de l'amour national» a présenté « «Hamlet » de William Shakespeare au Teatro Olympia les samedi et dimanche soirs des 25 et 26 juillet et des 7 et 8 août 1909, les revenus de ces deux soirées étant destinées à aider une œuvre de charité ; aux deux représentations du spectacle, le Teatro Olympia était plein à craquer « note le journal Al-Quds, le premier journal arabe publié à Jérusalem en 1908 (Maher al Charif. “The News Paper “Al-Quds” and the Beginnings of Modernization in the Liwa or Mutasarrifiyya of Jerusalem (1908-1914)”, IPS, 2024-Arabic).
La naissance du mouvement national palestinien
Les habitants arabes de ces régions ont participé aux activités des associations nationalistes arabes qui ont commencé à émerger au début du XXe siècle dans les Wilaya arabes sous domination ottomane. Cependant, la conscience nationale arabe en Palestine a pris un caractère particulier en raison du sentiment croissant des dangers de l'immigration et de la colonisation juives, en particulier après l'arrivée de la « deuxième vague d'immigration juive » suite à la montée des sentiments antisémites en Russie.
Les Arabes ont été généralement passifs face à la première vague d’immigration juive entre 1881 et 1891. Le conflit entre Juifs et Arabes s’est exacerbé à la suite de la deuxième vague d’immigration juive, entre 1904 et 1914. Cette vague, qui a eu pour conséquence immédiate l’expulsion des paysans et des ouvriers arabes travaillant dans les colonies juives et le boycott des produits arabes, marqua d’une empreinte profonde la société juive naissante. Dans son livre « Terre, travail et les origines du conflit israélo-palestinien 1882-1914 », le professeur israélien de sociologie Gershon Shafir confirme cette conclusion. Il affirme que le mouvement sioniste se présente, dès le début, comme une variante du mouvement colonial européen ; la deuxième vague de l’immigration juive - poursuit-il - a créé, sur la base des mots d’ordre « occupons la terre », « occupons le travail », un type de colonie de peuplement qui, parallèlement à l’expulsion forcée ou à l’extermination des populations autochtones, a permis aux colons juifs l’appropriation d’un sentiment d’homogénéité culturelle et ethnique. Pour lui, les conditions particulières du conflit autour de la terre et du marché du travail entre les colons juifs et la population arabe palestinienne sont à l’origine des caractéristiques les plus typiques de la société israélienne (“Land, Labor and the Origins of the Israeli-Palestinian Conflict 1882–1914 “, Cambridge University Press, 1989).
Aussitôt que cette volonté de domination sioniste devint évidente, l’opposition arabe trouva pour se formuler un cadre tout prêt, celui du nationalisme arabe naissant. La presse arabe, née dans la foulée de la révolution turque de 1908, comme Al-Karmel de Najib Nasar ou Falastine de ‘Isa al ‘Isa, a joué un rôle important dans la prise de conscience face au danger sioniste. L’opposition arabe essayait, au même moment, de prendre forme en s’organisant. Au milieu de l’année 1911, fut créé à Jaffa un parti anti-sioniste, le Parti National, avec comme objectif de faire échouer le programme sioniste en Palestine. Deux moyens furent préconisés : le boycott des institutions et des colonies sionistes et l’interdiction de toute vente de terre aux colons juifs.
La nature du projet sioniste a donc entretenu le refus palestinien, qui a revêtu divers aspects. Bien que le sentiment nationaliste arabe dans les régions qui allaient former la Palestine mandataire commençait alors à prendre un caractère nettement « national palestinien», le mouvement arabe en Palestine, qui prenait la forme d'associations islamo-chrétiennes, restait lié au mouvement nationaliste panarabe de Damas et continuait à voir la Palestine comme faisant partie de la Syrie arabe. Deux facteurs extérieurs ouvrirent cependant la voie à la cristallisation d'un mouvement national palestinien indépendant : d'une part, la conférence de San Remo en avril 1920, qui impose le système des mandats - français sur la Syrie et le Liban et britannique sur la Palestine et l'Irak - et, d'autre part, le 25 juillet 1920, l’entrée à Damas des troupes françaises qui éliminent du pouvoir le roi Faysal. En décembre 1920, le troisième Congrès arabe palestinien se tient à Haïfa et ses délégués soumettent un mémorandum au haut-commissaire britannique dans lequel ils demandent que la Grande-Bretagne « forme un gouvernement national responsable devant un parlement dont les membres sont élus par le peuple arabophone vivant en Palestine jusqu'au début de la guerre ». Avec la naissance de ce mouvement national palestinien, qui refuse pendant toute la période du mandat britannique la déclaration Balfour, un conflit centenaire va naître, comme le remarque l’ancien député israélien Uri Avnery. C’est le début de l’affrontement historique entre deux mouvement nationaux : le premier visait à établir un Etat pour les Juifs, vide de non-juifs ou, dans le pire des cas, avec le moins possible de non-juifs ; le second était l’expression de la lutte de la population arabe pour la liberté et l’indépendance nationale. En conséquence, ce dernier s’opposa vigoureusement à l’implantation d’une autre population sur cette terre qui n’était pas moins qu’une patrie. Si l’on ne part pas de ces deux constats, poursuit Avnery, les événements qui ont donné naissance à des problèmes épineux, notamment le problème des réfugiés, ne peuvent être compris (Uri Avnery, « Le droit au retour », Revue d’Etudes Palestiniennes, n°27 (79), printemps 2001, pp.27-32).
Le patrimoine culturel préserve l'identité nationale
Lorsque le peuple palestinien vivait sur sa propre Terre-Natale, sa production littéraire et artistique était profondément enracinée dans son passé et dans ses traditions.
Avant 1948, la poésie palestinienne occupait une place privilégiée parmi les genres littéraires. La poésie d'Ibrahim Touqan se caractérisait par un patriotisme révolutionnaire, dans lequel il chantait la terre, attaquait ceux qui la vendaient, saluait les révolutionnaires et les martyrs. La littérature populaire a également prospéré, car les paysans, qui constituaient la majorité de la population, appréciaient grandement le conte, l'épopée et le proverbe.
En 1948, la vie des Palestiniens a été bouleversée. La majorité du peuple palestinien a été déracinée et dispersée dans les pays arabes voisins ; la minorité restée sur ses terres a été victime de persécutions et de discrimination nationale.
La Nakba de 1948, malgré sa gravité, n'a pas conduit à l'élimination du patrimoine culturel palestinien, pas plus qu'elle n'a empêché les Palestiniens, dans leur pays et dans la diaspora, d'enrichir ce patrimoine et de diversifier ses expressions, ce qui les a aidés à préserver leur identité nationale, de sorte que la culture est devenue l'incubateur de cette identité.
Grâce à ce patrimoine, le peuple palestinien, malgré la perte de sa personnalité politique indépendante, a pu protéger son identité culturelle. Cependant, les bouleversements qu'il a connus ont complètement changé ses modes d'expression. Dès lors, on distingue la littérature d'avant 1948 et celle d'après 1948, la littérature de l'intérieur et celle de l'exil.
La littérature de l'exil, hantée par la souffrance du déplacement, est devenue une littérature de la nostalgie et de l'attente ; nostalgie de la patrie perdue et attente de retourner à cette patrie. C'est ce qu'a exprimé Samira ʽAzzam, la pionnière de la nouvelle palestinienne, qui, dans certaines de ses nouvelles publiées dans les années 1950 et au début des années 1960 à Beyrouth, a traité de la souffrance du réfugié palestinien et dépeint la misère de la vie en exil, ainsi que Haroun Hashim Rashid dans ses premiers poèmes.
L'écriture romanesque a commencé à s'exprimer en exil, avec la publication du roman «Cri dans une longue nuit » de Jabra Ibrahim Jabra, qui s'est réfugié de sa ville natale de Bethléem à Bagdad, et avec la publication du roman de Ghassan Kanafani « Des hommes sous le soleil », au début des années 1960.
Contrairement à cette littérature d'exil, le thème de la résistance a dominé la littérature de l'intérieur. Les Palestiniens restés dans leur patrie n'avaient d'autre choix que de résister ou de partir ; ils ont choisi de résister. Les poèmes de Mahmoud Darwish, Samih al-Qasim et Tawfiq Ziyad sont devenus les chants des Arabes palestiniens dans leur lutte contre la discrimination nationale. Quant à la nouvelle, elle a connu un regain d'intérêt dans les années 1950, après qu'Emile Habibi et Hanna Ibrahim aient publié leurs récits dans les journaux et magazines du Parti communiste israélien. Cette production a ensuite favorisé l'émergence d'une nouvelle génération de jeunes conteurs, tels que Tawfiq Fayyad, Muhammad Nafaa et Muhammad ʽAli Taha, dont la littérature se caractérise par une inspiration de la vie quotidienne des Arabes palestiniens dans les territoires de 1948 et par de nombreuses métaphores tirées du folklore et de la littérature populaire.
De jeunes conteurs de Jérusalem et de Cisjordanie émergent également, surtout après la publication de la revue “al-Oufuq al-jadid” (Horizon Nouveau) entre 1961et 1966, comme Mahmoud Shuqair, Khalil al-Sawahri, Majed Abou Sharar, et d'autres. Dans la bande de Gaza, la carrière de Mouʽin Bseiso l'homme politique était inséparable de celle de Mouin le poète de la résistance palestinienne, qui a été influencé par la poésie de ʽAbdel Karim al-Karmi « Abou Salma », et s'est distingué, dès son premier recueil , en considérant le poème comme un outil d'incitation et de mobilisation à la lutte.
Le lien entre l'activité culturelle et la lutte nationale
Après la défaite arabe de juin 1967 et l'occupation de toutes les terres palestiniennes, l'activité culturelle est devenue étroitement liée à la lutte du mouvement national palestinien, représenté par l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). La résistance devient le thème central de la production littéraire, tant en exil qu’en Palestine.
Après 1967, les horizons de la poésie se sont élargis avec l'émergence d'une nouvelle génération de poètes « militants », comme Ahmad Dahbour, ʽEzzedine al-Manasra, Murid al Barghouti, et bien d'autres. Ghassan Kanafani, après avoir écrit Umm Saʽad, a payé de sa vie son engagement en 1972, mais d'autres romanciers, comme Emile Habibi, Yahya Yakhlef, Rashad Abou Shawar et Ibrahim Nasrallah, ont décidé de poursuivre la marche. Dans ses romans, Sahar Khalifa a porté à la fois la cause de son peuple et celle des femmes.
Sur le plan artistique, de nouveaux modes d'expression sont apparus, tels que les arts plastiques, le cinéma et le théâtre. Dès 1953, avec l'exposition d'Ismaïl Shamout à Gaza ville, il est clair que la peinture va occuper une place prépondérante dans les arts plastiques palestiniens. Cela s'est confirmé dans les années suivantes avec l'émergence d'un grand nombre d'artistes palestiniens, tant en Palestine qu'en exil, tels que Tamam al-Akhal, Jumana al-Husseini, Suleiman Mansour, Tawfiq Abdel-ʽAl, Nabil ʽAnani, ʽAbdel Rahman al-Muzain, Mustafa Hallaj, Samir Salameh, et d'autres ; la Palestine, avec les souffrances de son peuple, sa lutte et son aspiration à la liberté, a toujours été présente dans leur travail à travers de nombreux symboles.
En 1968, un certain nombre de pionniers, tels que Hani Jawhariya, Mustafa Abou ʽAli et Salah Abou Hanoud, ont ouvert la voie, d'abord en Jordanie puis au Liban, à l'émergence d'un cinéma palestinien qui est devenu une arme au service de la révolution, et certains d'entre eux l'ont payé de leur vie. Les premiers films de ces pionniers ne sont pas des longs-métrages, mais des documentaires et des témoignages de la réalité de la bataille pour la libération de la Palestine, comme le film “Non à la solution pacifique” (1969) et “par lʽesprit et le sang (1971) de Mustafa Abou ʽAli.
Si le cinéma est né en exil, le nouveau théâtre est né au début des années 1970 en Cisjordanie occupée, où plusieurs troupes de théâtre ont vu le jour, comme l'Ensemble Balalin, fondé par feu François Abou Salem à Jérusalem, et le Théâtre Qasabah à Ramallah. Ce jeune théâtre palestinien, malgré ses faibles moyens et la censure stricte que lui imposent les autorités d'occupation, a su devenir un outil efficace de résistance et d'incitation. À Damas, le Théâtre national palestinien a été créé et a présenté plusieurs spectacles basés sur des textes de Rashad Abou Shawar et Samih al-Qasim. Plusieurs troupes de théâtre sont également créées dans les territoires de 1948 (Maher al Charif (sous la direction) « Le patrimoine culturel palestinien », Le Sycomore, 1980).
La maturation de la culture de résistance
Peu à peu, la culture de la résistance mûrit, quittant les slogans et les discours politiques et cherchant à conquérir le monde. Mahmoud Darwish découvre que la poésie « ne peut pas combattre la guerre, ni avec ses armes, ni avec son langage, mais avec son contraire », à savoir la fragilité humaine, considérant que « le langage des grandes épopées et des grandes victoires est révolu » et aspirant à écrire de la « poésie pure ».
Certes, le thème de la résistance continue de caractériser la culture palestinienne, mais cette culture aspire à exister indépendamment de sa condition historique. Elle ne se définit plus seulement par rapport à la Nakba de 1948 ou à l'occupation israélienne, mais aussi par rapport à son humanité et à son ouverture sur le monde.
La nouvelle génération de poètes et de romanciers, comme Ghassan Zaqtan, Tamim al Barghouti, Jamal Naji, Ruʽi al-Madhoun, , Khuzama Habayeb, et d'autres, sont plus enclins au quotidien, au réel, qu'aux « grandes idées» dans leurs écrits. Certes, l'occupation demeure, et c'est une réalité, mais leur volonté d'échapper à cette réalité existe aussi.
Le caricaturiste Naji al-ʽAli, assassiné à Londres en 1989, a exprimé dans son œuvre à la fois la douleur de son peuple et sa résistance. Son enfant de dix ans, Hanzala, aux cheveux ébouriffés, tourne le dos aux spectateurs parce qu'il est dégoûté par une vie dominée par l'injustice, incarnant la douleur et les aspirations du dessinateur, et à travers lui, la douleur et les aspirations de tout le peuple palestinien à la liberté.
Depuis les années 1980, le cinéma palestinien, humaniste par nature, s'est imposé comme un véritable art, à la conquête du monde. En 1987, le Palestinien Michel Khalifi réalise son premier long-métrage, “mariage en Galilée”, qui raconte la confrontation des habitants d'un village palestinien avec le pouvoir militaire israélien, le maire du village acceptant d'inviter des soldats israéliens au mariage de son fils en échange de la levée du couvre-feu lors du mariage. En 2002, Elia Souleiman réalise le film “Intervention divine” et en 2009 “Le Temps qu'il reste” qui retrace la biographie du réalisateur, celle de sa famille et les événements historiques qui se sont déroulés dans sa ville en 1948 avec la survenue de la Nakba palestinienne, En 2013, le film “ ʽOmar ”, d'un autre cinéaste palestinien Hani Abou-Asʽad, sur un jeune employé de boulangerie déchiré entre l'amour de sa bien-aimée et la résistance à l'occupation à l'ombre du mur de l'apartheid qui les sépare, a remporté le prix de la critique au Festival international du film de Cannes. En 2022, la diffusion sur Netflix du film « Farha » de la cinéaste Darine Salem a déclenché une tempête de critiques officielles israéliennes, d'autant plus que le film raconte l'histoire d'une jeune Palestinienne de 14 ans qui rêve de rompre avec les traditions de son village et d'aller à l'école dans une ville voisine, avant que son père ne la force à se cacher dans le grenier après que les soldats israéliens aient attaqué leur village et qu'elle assiste, à travers un petit trou dans le mur, à l'exécution d'une famille palestinienne dans leur arrière-cour.
Ces dernières années, le théâtre est devenu plus humaniste, plus expérimental et plus aventureux sur le plan artistique, surtout après avoir dépassé les slogans et l'incitation politique directe.
Les Palestiniens résistent désormais par le biais d'autres formes d'expression artistique, telles que l’art de la broderie, inscrit en 2021, par l’Unesco, sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, les graffitis, les installations artistiques, l'architecture, la musique et la danse. La préservation des maisons patrimoniales et des sites archéologiques est devenue non seulement un outil de développement économique et social, mais aussi une forme de résistance non violente à l'occupation. C'est ce qui inspire le travail des jeunes architectes de l'organisation de préservation du patrimoine architectural “Riwaq”. Au début des années 2000, de nouvelles formes de musique sont apparues, comme le rap, lorsque les frères Suhel et Nifar Tamer, avec Mahmoud Jariri, ont formé le groupe “Dam”, qui, dès sa création, a porté un message de rébellion contre la politique de discrimination nationale pratiquée par les dirigeants israéliens à l'encontre de la minorité nationale palestinienne restée dans sa patrie, et a exprimé, par son nom - Dam - la volonté de cette minorité de survivre et de résister aux tentatives de déracinement.
Comme le note l'universitaire française Marion Slitine, dans sa thèse de doctorat sur l'art contemporain palestinien et son passage des territoires occupés aux plateformes mondialisées, ce qui unit les artistes de la nouvelle génération palestinienne, qu'ils résident dans les territoires occupés ou dans la diaspora, tels que Mouna Hatoum, Emily Jasser, Larissa Sansour, Bissane Abu ʽEisha, Tayseer Batniji, Khaled Jarrar et d'autres, c'est le désir d'adapter les symboles de l'art contemporain international à des thèmes locaux, dans un mouvement constant entre le local et le global, redéfinissant les notions de patriotisme et d'engagement.
(“La Palestine en créations. La fabrique de l'art contemporain, des territoires occupés aux scènes mondialisées”, École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales, 2018).
La culture palestinienne et la bataille existentielle
Au cours des premiers mois de la guerre israélienne contre la bande de Gaza, le ministère palestinien de la Culture a publié trois rapports sur les pertes subies dans le domaine culturel. Les bombardements israéliens ont coûté la vie à 41 artistes, écrivains, musiciens, poètes et activistes, hommes et femmes. Certains ont perdu toute leur famille et beaucoup ont été gravement blessés. Des centres culturels ont été complètement détruits, notamment le centre culturel “Rashad al Shawa”, créé à Gaza en 1985, et des institutions artistiques telles que la galerie “Shababik” et la faculté des arts de l'Université Al Aqsa. Des bibliothèques publiques et privées, dont la bibliothèque publique de la municipalité de Gaza, qui comptait des milliers de livres, la librairie Samir Mansour, qui comptait des milliers de titres, ainsi que des sites archéologiques, ont été totalement ou partiellement démolis.
Depuis le début de la guerre, les autorités israéliennes ont arrêté un certain nombre de personnalités culturelles qui ont osé s'exprimer contre la guerre à Gaza par le biais des médias sociaux, comme la chanteuse Dalal Abou Amneh, l'actrice Maysa ʽAbdul Hadi de Nazareth et d'autres activistes. Le ministre de l'éducation Yoav Kish a appelé à des mesures disciplinaires contre des étudiants et des campagnes organisées ont été lancées contre des professeurs d'université, comme dans le cas du professeur Nadira Shalhoub-Kevorkian de l'Université hébraïque de Jérusalem (Rana Anani, “La guerre génocidaire contre la bande de Gaza : La culture palestinienne et la bataille existentielle”, Institut des études palestiniennes, Points de vue politiques, 2024).
En conclusion, je reviens à la question : qui sont les Palestiniens ?
Je réponds: Ce sont environ sept millions d'hommes et de femmes arabes qui vivent dans leur patrie historique, la Palestine mandataire, qui s'étend du Jourdain à l'est à la mer Méditerranée à l'ouest, et qui souffrent quotidiennement de meurtres, d'oppression et de discrimination raciale, et environ sept millions d'autres qui sont dispersés à travers le monde et qui aspirent à retourner dans leur patrie historique; ils constituent tous le peuple palestinien qui défend une cause nationale qui est vouée à triompher, quel que soit le temps qu'il faudra, parce qu'elle est juste et humaine.