La guerre israélienne fait des ravages dans le secteur de l'éducation au Liban
Date:
23 octobre 2024

Depuis le 8 octobre 2023, date du début des affrontements à la frontière israélo-libanaise, le Liban est confronté à l'épreuve de la fermeture des écoles. Après environ un mois d'affrontements, le ministère de l'Education pris la décision de ne pas interrompre les cours avant que la situation ne devienne incontrôlable, mais les bombardements israéliens se sont poursuivis sur les villages frontaliers, entraînant le déplacement de plus de 100 000 personnes, dont environ 11 000 élèves et étudiants, vers des zones plus sûres en dehors de la bande frontalière, en particulier dans les villes de Tyr et de Nabatieh, mais aussi à Sidon et Beyrouth. Certains se sont installés dans des abris, notamment deux écoles et une institution professionnelle à Tyr.

À ce stade, alors que la guerre restait confinée aux villages adjacents à la frontière avec la Palestine occupée, tout en s'étendant à des zones plus éloignées, avec notamment les assassinats ciblés, le ministère de l'Éducation a chargé les directeurs des écoles dans les zones proches ou adjacentes à la frontière d'évaluer la situation. Certaines écoles sont restées ouvertes, d'autres ont été fermées pendant quelques jours, en particulier dans la ville de Khiam, tandis que l'enseignement s'est poursuivi dans les écoles de Hasbaya et de ses environs, ainsi que dans des villages situés entre Tyr, Bint Jbeil et Marjayoun.

Elèves et étudiants déplacés

Selon les données du ministère de l'Education et des administrations scolaires, près de 2 200 élèves ont été déplacés, dont plus de 700 se sont inscrits dans des écoles situées entre Tyr, Sidon et Nabatieh, tandis que d'autres sont partis à Beyrouth avec leurs familles. La plus grande école fermée est l'école publique élémentaire de Shabaa, avec ses 500 élèves, suivie de l'école publique des Martyrs d'Ainata, avec 341 élèves, du collège d'Aita al-Shaab, avec 310 élèves, de l'école publique de Naqoura, avec 167 élèves, et du collège de Tayr Harfa, avec 164 élèves. En fait, 18 écoles, collèges et lycées ont été fermés (35 avec les écoles privées).

Des enseignants et des élèves des écoles frontalières fermées ont rejoint des écoles alternatives dans les régions de Tyr et de Nabatieh, et le ministère a élaboré un plan en accord avec l'UNICEF, qui consiste à ouvrir des écoles dites d'urgence, financées par des donateurs ( 7 écoles entre Tyr, Sidon et Nabatieh). La possibilité de généraliser l'enseignement à distance ou l'enseignement mixte dans certaines zones a été envisagée, au cas où le front s’élargit. Evidemment, l’enseignement ne sera plus du tout assuré si une guerre régionale éclate, et il faudra attendre le cessez-le-feu et la gestion des répercussions de la guerre.

Entre octobre 2023 et septembre 2024

Au cours de la période allant d'octobre 2023 à la mi-septembre 2024, les effets des affrontements sur le secteur de l'éducation au Liban sont restés concentrés dans les zones frontalières du sud et dans certains villages au nord du Litani. La crise ne s'est pas directement répercutée sur les universités, dont les campus sont situés dans les grandes villes, à l'exception de quelques antennes régionales. Le ministère de l'Education a pu organiser les examens usage alors même que le mur du son était franchi par les avions de guerre israéliens au-dessus du Sud-Liban. Cependant, à partir du 25 septembre, lorsque le gouvernement israélien a annoncé le début des opérations terrestre au Sud-Liban, dans la vallée de la Bekaa et dans la banlieue sud de Beyrouth, ce qui coïncidait avec le début de l'année scolaire, la situation dans le secteur de l'éducation a commencé à se détériorer sérieusement, avec des vagues de déplacement, en plus de la destruction systématique de quartiers entiers, y compris les complexes scolaires qui s’y trouvent.

Plus de 1 400 000 Libanais ont été déplacés en deux semaines du Sud-Liban, de la banlieue sud de Beyrouth et de la Bekaa vers des zones plus sûres. Parmi ces personnes déplacées, environ 500 000 élèves des écoles publiques et privées et de l'université libanaise sont privés d'éducation, sans compter les élèves des écoles de l'UNRWA pour les réfugiés palestiniens, ni les milliers d’enfants syriens. Le ministère de l'Education a suspendu les cours pendant deux semaines, mais il a travaillé sur un plan d'intervention d'urgence pour réinscrire les élèves dans les écoles par le biais de l'enseignement à distance, après avoir fini de collecter des données et commencé l'inscription électronique pour les élèves du secteur public en particulier. Des obstacles subsistent bien que l'enseignement privé ait repris les cours en présentiel sous sa propre responsabilité, conformément à la circulaire sur l'enseignement à distance. Notons que plus de 630 écoles publiques dans les zones sûres se sont transformées en abris pour les déplacés. Le ministère de l'Education a donc et aura besoin d’importantes  ressources pour mettre en œuvre ses plans, surtout si la guerre se prolonge.

Selon le ministère de l'Education, plus de 70 % des écoles publiques et autres établissements d'enseignement ne sont pas en mesure d'ouvrir leurs portes dans les conditions actuelles. Cette crise a entraîné l'interruption de l'année scolaire pour plus de 41 % des étudiants des écoles et instituts professionnels et techniques, de 57 % des enseignants et de 40 % des étudiants universitaires.

L'intensification de l'agression israélienne et des bombardements de civils affectent toutes les composantes du système éducatif libanais. Le coût est très élevé dans tous les domaines, mais l’enseignement devrait être considéré comme prioritaire, au même titre que l'alimentation, la santé et la sécurité. Si l'année scolaire est perdue, que faire pour la remplacer ? La question se pose pour tous les élèves, et pas seulement par les personnes déplacées.

Une nouvelle phase

Avec le début de la guerre terrestre et l'intensification des bombardements, l'enseignement dans les écoles et universités publiques et privées a été suspendu jusqu'au 7 octobre. Lors d'une réunion du Comité d'urgence pour l'éducation, le ministre de l'Education a souligné la nécessité de collecter des données sur les apprenants, les enseignants et les établissements d'enseignement, et d'examiner de près la réalité des déplacements afin d'élaborer des plans appropriés. Les établissements d'enseignement privé se sont engagés à suspendre les cours, à de rares exceptions près, et ont décidé d'enseigner à distance. En réalité, une grande partie des élèves des secteurs privé et public ont été déplacés, tandis que d'autres, vivant dans des zones sûres, n'ont pas pu se rendre dans leurs écoles, celles-ci ayant été transformées en abris. La carte scolaire montre aujourd'hui la fermeture des écoles, des lycées, des instituts, des écoles professionnelles publiques et privées et des universités dans les gouvernorats du Sud-Liban, de Nabatieh, de la Bekaa, de Baalbek al-Hermel, jusqu'à la banlieue sud et à Beyrouth. Les zones considérées comme sûres sont le secteur oriental de Beyrouth, le Keserwan et Jbeil au Mont-Liban, le Nord et le Akkar, sachant que des centaines d'écoles dans ces zones se sont transformées en abris, y compris les facultés de l'Université libanaise et de certaines universités privées à Beyrouth et dans les régions.

A quoi il faur ajouter qu’un certain nombre d'écoles et d'universités privées n'ont pas repris l'enseignement, ni en présentiel ni à distance, en raison de l'ambiance de guerre, et parce que beaucoup d'étudiants et d'élèves ont quitté le pays avec leurs familles ou n'ont pas payé leurs frais de scolarité.  Cela a été clairement observé dans les grandes universités : par exemple, plus de 1 000 étudiants à l'Université américaine n'ont pas payé, et plus de 3 000 à l'Université Saint Joseph.  Pour les écoles privées, une circulaire du ministre de l'Education et de l'enseignement supérieur, Abbas Halabi, a appelé à réduire les frais de scolarité et à prendre en compte la situation de guerre qui affecte tout le monde sur le plan social et financier.

Pertes directes et indirectes

Les pertes subies par le secteur éducatif libanais sont extrêmement lourdes. Bien qu'aucune statistique précise n'ait été fournie concernant les dommages causés aux bâtiments scolaires dans les zones frontalières, on sait que de nombreuses écoles ont été détruites et que des dizaines d'étudiants, d'élèves et d'enseignants sont tombés en martyrs sous les bombardements israéliens. Des diplômés de 'Université libanaise, qui avait décidé d'enseigner à distance à partir du 4 novembre 2024, ont été tués, dont l'architecte Rola Dakdouki, le pharmacien Musa Samouri, Mohammad Abbas (doctorant au département de géographie) et Rasha Ahm.

Certains courants politiques appellent à reporter l'année scolaire jusqu’à la fin de la guerre, quelle qu’en soit la durée, tandis que d'autres courants insistent sur la reprise de l'enseignement dans les zones sûres. Plusieurs écoles, y compris les écoles catholiques, avaient d’ailleurs commencé l'enseignement à distance avant que le ministère de l'Education n’ait élaboré son plan d’urgence.

Selon les rapports statistiques publiés par le ministère de l'Education, le secteur de l'éducation a besoin d'environ 25 millions de dollars pour être en mesure de surmonter la crise actuelle, mais n’a rien obtenu jusqu’à présent, alors que d'autres secteurs ont bénéficié de plus de 450 millions de dollars d'aide internationale et arabe. Cela malgré l'appel à l'aide du ministère de l'Education lors d'une réunion élargie avec les représentants des organismes donateurs. En réponse à l'escalade au Liban, l'UNICEF et ses partenaires stratégiques ont annoncé un financement supplémentaire de 1,5 million de dollars pour soutenir l'accès universel à une éducation de qualité pour les filles et les garçons affectés par le conflit. L'extension de la subvention d'urgence pour le secteur de l'éducation au Liban, provenant du portefeuille d'investissement de 25,8 millions de dollars du Fonds pour « l'éducation ne peut pas attendre », bénéficiera à 1,2 million d'enfants au Liban.

Restructurer l'éducation

Le ministère de l'Education tente de restructurer l'enseignement dans les conditions actuelles, aussi bien dans les abris qu’à l'extérieur, en se basant sur le principe du maintien de l'enseignement, même réduit au minimum. Il n’en reste pas moins qu’on on ne peut accepter que les bâtiments scolaires deviennent des abris permanents, surtout que la majorité des personnes déplacées est issue d'une même communauté, ce qui pourrait conduire à une catastrophe que le secteur de l'éducation ne peut supporter, ni d’ailleurs le pays dans son ensemble.  C’est pourquoi une autre approche paraît nécessaire. Si l'éducation des enfants se fait dans des abris surpeuplés de personnes déplacées, ce serait à coup sur le chaos d’autant plus qu’elles ont commencé à se transformer en communautés autonomes. Le plus grand problème auquel l'éducation doit faire face en se lançant dans l'enseignement à distance pour les élèves déplacés du public et du privé est de savoir comment les redistribuer et organiser le processus éducatif avec les enseignants eux aussi déplacés, même si le ministère est en mesure de collecter des données et de localiser les élèves, de distribuer des tablettes ou d'enseigner à l'aide de smartphones. Il faudra beaucoup de temps avant que le processus ne soit organisé, car les écoles privées qui ont ouvert leurs portes dans les zones sûres ou les écoles qui ont décidé d'enseigner à distance ont déjà progressé dans le programme. Les élèves déplacés du secteur public et les élèves non déplacés dont les écoles sont occupées, ainsi que certaines écoles privées, auront besoin de plus de temps pour rattraper le programme, et il pourrait être difficile, voire impossible, de parvenir à une sorte d'équilibre dans les résultats éducatifs.

En conclusion, il est clair que l’agression israélienne contre le Liban a eu des conséquences catastrophiques sur l'éducation, et elles seront encore plus visibles à l'avenir. Aujourd'hui, les choses semblent extrêmement compliquées car les divisions politiques et communautaires du Liban se sont répercutées sur ce secteur. Régler la situation des déplacés et encadrer les institutions étatiques sont les clés de la régularité du processus éducatif. Il ne s'agit pas de contourner les crises, mais de s'y adapter au minimum pour éviter le chaos et protéger toute une génération ballottée par la guerre. La poursuite de l'enseignement reste un élément de la résistance à l’agression israélienne et contribue ainsi au sauvetage du pays.

 

Sources :

À propos de l’auteur: 

Ibrahim Haidar est journaliste au quotidien An-Nahar.