Le 16 août 2024, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a publié un rapport indiquant qu'un enfant est tué ou blessé toutes les dix minutes dans la bande de Gaza dévastée, que le nombre d'enfants gazaouis tués après plus de dix mois de guerre israélienne a a atteint 14 100 sur un total de 39 965, que le nombre d'enfants blessés a atteint 12320 sur 92 000, et que de nombreux enfants se trouvaient parmi les milliers de personnes disparues sous les décombres[1]. Outre ces chiffres alarmants, la guerre israélienne en cours à Gaza a provoqué la propagation de nombreuses maladies parmi les enfants, qui sont plus vulnérables car leur système immunitaire est facilement par la malnutrition, le manque d'eau potable, les réseaux d'égouts endommagés, la surpopulation dans les camps de déplacés, l’absence de produits d'assainissement et la prolifération des tas d'ordures, sans parler des faibles taux de vaccination.
La vraie catastrophe : L'épidémie potentielle de polio
Les Nations Unies, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont tiré la sonnette d'alarme suite à la découverte du premier cas de polio dans la bande de Gaza. Le 16 juillet, l’OMS a annoncé qu'elle avait détecté la présence du virus de la polio dans six échantillons d'eaux usées de Gaza, prélevés le 23 juin dans les sites de surveillance environnementale de Khan Younès et de Deir al-Balah, et a exprimé ses craintes que la présence du virus ne soit le " présage" d'une véritable catastrophe sanitaire[2].
Le 16 août, le ministère palestinien de la Santé a annoncé de son côté le premier cas confirmé de polio dans la bande de Gaza (exempte de polio depuis 25 ans selon les Nations unies), chez un nourrisson de dix mois non vacciné à Deir al-Balah. Immédiatement après cette annonce, et craignant la propagation de la maladie en raison de la faible immunité des enfants, l'OMS et l'UNICEF ont appelé « toutes les parties au conflit à mettre en œuvre une pause humanitaire de sept jours pour permettre deux séries de campagnes de vaccination » pour plus de 640 000 enfants de moins de 10 ans - campagnes « qui seront lancées à la fin du mois d'août et en septembre 2024 dans l'ensemble de la bande de Gaza »[3]. Compte tenu de la gravité de la situation, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a appelé « toutes les parties à fournir immédiatement des garanties concrètes pour créer les conditions nécessaires au succès de ces campagnes », soulignant que ce serait impossible tant que la guerre fait rage. « Nous aurons également besoin d'argent et de carburant pour les équipes de vaccination, de réseaux Internet et téléphoniques opérationnels pour informer la population, et d'un accès pour les experts de la polio « , a-t-il ajouté, estimant que ce virus insidieux « s'il n'est pas contrôlé, aura de graves conséquences, non seulement pour les enfants, mais aussi pour les populations des pays voisins et de toute la région »[4].
Épidémies généralisées de maladies de la peau
Selon l'OMS), plus de 150 000 enfants de Gaza ont contracté de graves infections cutanées. Ahmad al-Tahrawi, qui travaille comme médecin bénévole à l'hôpital des martyrs d'Al-Aqsa à Deir al-Balah depuis le début de la guerre, estime qu'il existe de nombreuses raisons à la propagation des maladies de la peau et des infections virales, la plus importante étant « le manque d'hygiène et de produits de nettoyage », car « les autorités d'occupation empêchent délibérément leur entrée », ajoutant que "la surpopulation joue également un rôle majeur dans la propagation de ces maladies ». « Vivre dans des tentes n'aide pas »[5].
Comme beaucoup d'enfants du camp de réfugiés de Deir al-Balah, où des centaines de familles sont entassées, le fils de Wafaa Alwan (mère de sept enfants) passe ses nuits à se gratter. La mère du bambin s'est confiée à l'AFP depuis sa tente, plantée avec des milliers d'autres sur une étendue de sable : « Nous dormons à même le sol, sur le sable, d’où sortent des vers ; mon fils ne peut pas dormir la nuit parce qu'il se gratte constamment le corps. Nous ne baignons pas nos enfants comme avant, parce qu'il n'y a pas de produits d'hygiène et de désinfectants pour nettoyer leur corps ». Dans le passé, il était courant que les parents envoient leurs enfants se baigner dans la mer, mais la pollution récente de l'eau de mer a exacerbé les maladies, car « les ordures et les couches usées sont jetées directement dans la mer », explique Wafa. Dans son dernier rapport, l'OMS) a recensé 964 417 cas de gale et de poux parmi les habitants de Gaza, 9 274 cas de varicelle et 1 038 cas d'herpès, une infection bactérienne de la peau. Dans la clinique de fortune du camp de Deir al-Balah, Sami Hamid, pharmacien bénévole de 43 ans déplacé de la ville de Gaza, note que « la gale et la varicelle sont les infections cutanées les plus courantes ». Il explique que la peau des enfants souffre de « la chaleur et du manque d'eau potable ». Lors d'une visite dans une école installée sous une tente, il a constaté que « 24 élèves sur 150 souffraient de la gale ». Mohammad Abu Mughaisib, coordinateur de Médecins sans frontières à Gaza, ajoute que ces enfants « jouent dehors, touchent n'importe quoi, mangent n'importe quoi sans pouvoir se laver ». Avec la chaleur, « les gens transpirent davantage, et les impuretés provoquent des démangeaisons qui, si on les gratte trop, peuvent entraîner des infections », explique-t-il[6].
Mohammad Abu Zayed, responsable de l'action sanitaire à MSF, abonde dans le même sens : « Récemment, nous avons également vu des enfants souffrir d'éruptions cutanées en raison du manque d'eau propre pour se baigner ou se laver. ». Et pour Marina Beaumaris, conseillère médicale pour MSF à Gaza : « Le manque d'eau propre peut entraîner de nombreuses maladies, comme la diarrhée et les maladies de peau ». Elle ajoute : « Les effets sont pires chez les enfants, dont le système immunitaire est plus faible que celui des adultes et qui sont plus vulnérables aux maladies et aux allergies »[7].
Le Palestinian Media Centre raconte l'histoire de Mohammad Rajab, 11 ans, qui était presque guéri de l'épidermolyse bulleuse, « une maladie rare qui provoque une fragilité de la peau, des ulcères et des cloques dus à la chaleur, au frottement, au grattage ou au port de vêtements rugueux », mais la guerre israélienne en cours a bouleversé sa vie. C'est avec une grande tristesse que sa mère décrit son état après plusieurs mois passés sous une tente dans un camp où vivent des milliers de personnes déplacées, notant qu'elle ne sait pas comment traiter les nombreux ulcères qui se sont répandus sur sa peau : « En général, j'utilisais des pommades spéciales pour hydrater la peau de Mohammad, je le lavais à l'eau froide, je lui faisais porter des vêtements en coton et je l'empêchais de sortir lorsqu'il faisait très chaud, mais aujourd'hui, nous avons à peine accès à l'eau pour faire cuire les aliments ou boire. Elle souligne le désastre environnemental qui l'entoure, « où les ordures sont éparpillées le long de la route menant au camp de personnes déplacées », et insiste sur le fait que « Mohammad doit sortir tous les jours dans la chaleur extrême et l'humidité pour aider à transporter de l'eau jusqu'à la tente, ce qui l'oblige à marcher sur de longues distances et à attendre son tour pendant longtemps. Cela augmente sa transpiration et l'accumulation de saletés sur sa peau ». Elle ajoute « qu'ils ne reçoivent pas les aliments sains nécessaires pour renforcer son système immunitaire, qu’ils se contentent d'aliments en conserve contenant une quantité excessive de conservateurs, et ne peuvent consommer suffisamment de légumes en raison de leur coût élevé »[8].
Alors que le Dr Abu Mughaisib craint l'apparition de maladies cutanées mortelles, comme la leishmaniose, surtout qu'au moins 100 soldats de l’armée d'occupation ont déjà contracté cette maladie qui se manifeste par des troubles affectant la peau, les muqueuses du nez, de la bouche, de la gorge ou d’autres organes, y compris le foie, la rate et la moelle osseuse[9], l'OMS) a mis en garde contre la propagation d'autres maladies dans les camps de personnes déplacée où les conditions d'hygiène sont lamentables. Elle est due à la piqûre de mouches de sable infectieuses [9]. « 485 000 cas de diarrhée ont été signalés, dont plus de 113 000 chez des enfants de moins de cinq ans. Or la diarrhée et la malnutrition constituent une autre combinaison mortelle »[10].
UNRWA : chaque jour, dix enfants de Gaza perdent une jambe ou deux
Lors d'une conférence de presse à Genève le 25 juin 2024, le commissaire général de l'UNRWA, Philippe Lazzarini, s'appuyant sur les chiffres de l'UNICEF, a annoncé que « dix enfants de la bande de Gaza perdent une jambe ou deux, en moyenne, chaque jour » et que ce chiffre « ne prend pas en compte pas ceux qui perdent un bras ou une main ». « Dix enfants par jour, cela signifie environ 2 000 enfants après plus de 260 jours de cette guerre meurtrière ; nous savons également que les amputations sont souvent pratiquées dans des conditions horribles et parfois sans aucune anesthésie, et cela s'applique également aux enfants ». Mahmoud Basal, porte-parole de la défense civile de Gaza, a déclaré que cette estimation semblait réaliste car « lorsque les équipes de la défense civile travaillent sur le terrain, elles récupèrent à chaque frappe des enfants, dont beaucoup ont les jambes ou les bras déchiquetés, ce qui nécessite parfois des amputations ». Des sources médicales expliquent que les amputations sont souvent la seule option possible et qu'elles sont pratiquées dans de très mauvaises conditions.
Selon le Dr Maher, chirurgien à l'hôpital Al-Ahli : « Il arrive que l'anesthésie ne soit pas disponible, mais pour sauver la vie du patient, nous avons recours à l'amputation, qui provoque une douleur intense chez le patient. Chaque jour, des attaques entraînent l'amputation de jambes ou de bras chez des enfants, des adultes et des femmes ». L'utilisation de prothèses pour remplacer les membres amputés est rare dans la bande de Gaza, en raison du blocus imposé par Israël qui limite l'entrée de matériel médical et de médicaments. Les médecins n’ont rien pu faire pour soulager la douleur de Sahib, trois ans, dont la jambe a été amputée après avoir été touchée par des éclats d'obus israéliens, a déclaré son père Ali Khaziq, 31 ans, à l'hôpital Al-Ahli, dans la ville de Gaza, où son fils est soigné : « Sahib souffre et a besoin d'analgésiques et d'un membre artificiel, introuvable à Gaza. Marwa Abu Zaida, 40 ans, et son fils de huit ans, Nasser Abu Darabi, espèrent également quitter les territoires palestiniens pour recevoir des soins et des prothèses appropriés, après que la jambe de la mère et le bras du garçon ont été amputés à la suite d'une frappe israélienne sur leur maison à Beit Lahia, au nord de la ville de Gaza. La mère, qui n'a pas accès à des analgésiques, a déclaré : « Mon fils et moi avons peur de changer de vêtements à cause de la douleur »[11].
Témoignages de médecins et d'infirmières américains après une mission à Gaza
Le 27 juin 2024, l'AFP a cité des médecins et des infirmières américains en mission dans la bande de Gaza dans le cadre d'une équipe de 19 personnes coordonnée par l'Association médicale américano-palestinienne, qui ont admis que dans les quelques hôpitaux qui subsistent à Gaza, de nombreux patients ayant survécu aux bombardements israéliens sont abandonnés à leur sort « tout simplement parce qu'il n'y a pas de gants, de masques ou de savon » et que « des décisions déchirantes doivent être prises, comme l'arrêt du traitement des graves brûlures d'un garçon de sept ans parce qu'il n'y a pas de bandages et qu'il mourra de toute façon ». Le chirurgien Adam Hamwi, originaire du New Jersey, qui a visité de nombreux pays déchirés par la guerre et les catastrophes au cours des trois dernières décennies, a déclaré à l'AFP après son retour une mission à l'hôpital européen de Gaza : « La plupart de nos patients étaient des enfants de moins de 14 ans ». Monica Johnston, une infirmière en soins intensifs de 44 ans originaire de Portland, dont la première affectation était Gaza, a évoqué le cas d’un petit garçon dont le traitement des brûlures a dû être interrompu pour traiter des patients qui avaient de meilleures chances de survie. « Deux jours plus tard, il a commencé à sentir des vers dans ses plaies... Cet enfant a été enseveli sous les bandages ; son corps était complètement contaminé ». Ammar Ghanem, 54 ans, médecin urgentiste dans le Michigan, raconte l'histoire d'un garçon de 12 ans qui « venait aider à l'hôpital, impressionnant le personnel ». De retour aux Etats-Unis, il a appris que « trente membres de la famille de ce garçon ont été tués dans les bombardements, et qu'il a dû aider à retrouver leurs corps sous les décombres », ne se rendant plus à l'hôpital[12].
Ainsi, les enfants de Gaza, plus encore que les autres habitants de ce territoire dévastée, sont confrontés aux répercussions de cette terrible guerre menée par Israël ; ceux qui ne meurent pas parmi eux sont handicapés à vie ou souffrent d'une maladie de longue durée.
[1] https://www.unicef.fr/article/israel-palestine-les-enfants-paient-le-prix-de-la-guerre
[2] “La détection du virus de la polio dans les eaux usées de Gaza pourrait présager un désastre sanitaire”.
[3] https://www.unicef.fr/article/gaza-une-pause-humanitaire-est-indispensable-a-la-campagne-de-vaccination-contre-la-polio
[4] https://nouveau-monde.ca/lonu-reclame-une-pause-des-bombardements-a-gaza-pour-vacciner-les-enfants-contre-la-polio
[5] https://www.france-palestine.org/La-pollution-cree-un-terrain-propice-pour-les-maladies-a-Gaza
[6] https://www.lessentiel.lu/fr/story/gaza-la-gale-et-les-poux-se-repandent-parmi-les-enfants-103141779
[7] https://msf.lu/articles/gaza-le-manque-deau-potable-est-source-de-maladies-et-de-souffrances
[8] “Sans eau ni articles de nettoyage…Les maladies de peau sévissent parmi les déplacés à Gaza”.
[9] https://www.mesvaccins.net/web/news/12597-la-leishmaniose-cutanee-se-propage-en-israel10
[10] https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/a-gaza-la-gale-et-les-poux-se-repandent-parmi-les-enfants-20240703
[11] https://www.lexpress.fr/monde/dix-enfants-perdent-une-ou-deux-jambes-en-moyenne-chaque-jour-dans-la-bande-de-gaza-chef-de-lunrwa;
[12] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/apres-une-mission-a-gaza-des-soignants-americains-racontent-l-horreur-pour-faire-pression