La crise du recrutement et de l'exemption des jeunes haredim menace-t-elle la cohésion de la coalition du sixième gouvernement de Netanyahou ?
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La question du recrutement des jeunes juifs haredim est revenue sur le devant de la scène en Israël depuis le 7 octobre 2023, en raison des droits légaux qui lui sont liés, et surtout du besoin grandissant de l’armée en effectifs, tant dans ses divisions régulières que dans les formations de réserve.

La question a atteint son paroxysme le 28 mars 2024 lorsque la Cour suprême israélienne a émis une ordonnance provisoire visant à geler les budgets des écoles haredim dont les élèves ne s'enrôlent pas dans l’armée à partir du mois d'avril. Cette ordonnance interdit les transferts de fonds aux institutions religieuses pour les étudiants qui n'ont pas reçu une exemption en due forme ou un report du service militaire et qui ne se sont pas enrôlés depuis le 1er juillet 2023. Elle restera en vigueur jusqu'à ce qu'une décision différente soit prise.

La Cour suprême a ainsi abrogé une loi de 2015 qui exemptait les jeunes haredim du service militaire, arguant que l'exemption violait le « principe de partage égal du fardeau ». Depuis lors, les gouvernements israéliens successifs n'ont pas réussi à proposer une loi alternative consensuelle. Dans le même temps, la Knesset a continué à étendre l'exemption du service militaire pour les haredim et, à la fin du mois de mars 2024, le dernier ordre du gouvernement reportant l'application de la conscription obligatoire pour les haredim ayant expiré, il a été obligé de soumettre unà la Cour suprême une réponse écrite aux pétitions demandant leur conscription immédiatement après l'expiration de l'ordre. En février 2024, la Haute Cour a émis un ordre demandant au gouvernement d'expliquer pourquoi les haredim ne devraient pas être enrôlés. Le gouvernement devait informer la Cour de sa position avant le 28 mars 2024, et le conseiller juridique du gouvernement, Gali Behraf Miyara, a refusé de représenter le gouvernement dans cette affaire.

La Cour suprême doit se réunir à nouveau en mai 2024 pour reprendre l'examen de la question, et le gouvernement a jusqu'au mois de juillet pour promulguer une nouvelle loi.

La décision de la Cour suprême a porté un coup sévère aux partis haredim, qui ont réaffirmé qu'ils étaient opposés à la conscription de leurs jeunes étudiants et menacé de démissionner du gouvernement si la conscription était imposée par une loi qui ne recueillerait pas leur approbation. La décision de la Cour suprême est également un défi pour le gouvernement de Benjamin Netanyahu et ses alliés d'extrême droite, qui seront contraints de s'en occuper au cours des prochains jours, jusqu'à la session de la Cour suprême, et d'essayer de promulguer une loi qui soit acceptable à la fois par les partis haredim, les autres partis de la coalition et la Cour suprême, une tâche qui semble très difficile, voire presque impossible.

Contexte et évolution

La question de l'enrôlement des jeunes haredim dans l'armée israélienne a joué un rôle important dans le conflit entre ce groupe et la majorité juive non religieuse, ainsi que dans le conflit entre ce groupe et le sionisme religieux, dont les militants sont enrôlés dans l'armée. Dans le passé, il y a eu plusieurs tentatives législatives pour parvenir à un compromis politique.

Les jeunes des communautés haredim se sont toujours abstenus de s'enrôler dans l'armée dans les pays européens où ils vivaient et, après la création d'Israël, ils ont continué à le faire dans l'armée israélienne, et cela pour plusieurs raisons, dont celles-ci en particulier : la difficulté d'observer la loi juive dans l'armée et les tentations auxquelles sont exposés les jeunes hommes célibataires. En outre, du point de vue haredim, un jeune homme devrait encore à l’âge de 18 ans étudier dans une yeshiva, et c'est au cours de cette période de sa vie qu'il devrait acquérir sa culture biblique. La troisième raison est que les haredim considèrent les yeshivot comme une « arme spirituelle » qui protège le « peuple d'Israël », au même titre qu'une arme militaire, et jugent la conscription des yeshivot comme une désertion d'une unité pour une autre. La communauté haredim lituanienne s'oppose à l'enrôlement de jeunes dans l'armée, même à un âge avancé, au motif qu'il faut consacrer toute sa vie à l'étude de la Torah. À la fin des années 1990, l’armée a commencé à former une unité réservée aux haredim, la première étant le Hanahal HaHaredim Battalion, rebaptisé plus tard Nitzah Yehuda, un bataillon opérant en Cisjordanie.

Le refus des haredim de s'enrôler dans l'armée a suscité une opposition et un ressentiment généralisés au sein de l'opinion publique. Des hommes politiques et des défenseurs des droits de l'Homme ont également exprimé leur opposition à une loi promulguée par la Knesset en 2002 pour réglementer le service des haredim dans l'armée ; cette loi, connue sous le nom de « loi Tal », accorde aux haredim des exemptions et des privilèges dans le service militaire. En 2012, la Cour suprême a décidé de suspendre la prolongation de la loi à partir d'août 2012, ce qui a déclenché une crise majeure dans les relations entre les laïcs et les haredim, qui se poursuit encore aujourd'hui.

Peu après la création d'Israël, le premier Premier ministre israélien, David Ben-Gourion, est parvenu en octobre 1948 à un compromis avec les haredim, les exemptant de la conscription afin qu'ils puissent poursuivre leurs études dans les yeshivot (écoles religieuses). A l'époque, il y avait moins de 500 étudiants haredim.

Selon l'Israel Democracy Institute[1], lorsque Ben-Gourion a pris la décision d'exempter les haredim du service militaire, il était motivé par quatre objectifs principaux :

Premièrement, atténuer les tensions qui risquaient de s'aggraver dans le nouvel État à un moment où celui-ci avait désespérément besoin d' « entamer tranquillement la phase de construction de la nation » ; deuxièmement, le nombre d'étudiants de yeshiva n'étant pas élevé, ne pas les enrôler était un prix que Ben-Gourion pouvait se permettre de payer afin de maintenir la tranquillité de la société existante ; troisièmement, Ben-Gourion pensait qu'Israël et la société juive évolueraient dans le sens d'une neutralisation de la religion dans la sphère publique, donc que son influence disparaîtrait complètement, et par conséquent que le nombre de haredim resterait faible et diminuerait avec le temps ; le quatrième objectif était d'asseoir la légitimité d'Israël en tant que centre du judaïsme orthodoxe/haredim après la destruction des centres juifs traditionnels à la suite de l'Holocauste.

Cependant, les prédictions de Ben-Gourion se sont toutes avérées infructueuses. Le nombre d'étudiants ultra-orthodoxes des yeshivas n’a cessé d’augmenter et ils ont profité de ce compromis pour être exemptés du service militaire obligatoire. L'influence politique des partis religieux et haredim s'est accrue au sein des gouvernements israéliens, en particulier depuis l'arrivée au pouvoir du Likoud en 1977, et leurs membres ont bénéficié de droits et de privilèges en raison de leur influence politique, sans pour autant participer au service militaire. La question de la conscription des étudiants haredim est devenue l'une des nombreuses exigences des partis non religieux pour des raisons politiques, électorales et idéologiques. Le statu quo créé par Ben-Gourion a duré jusqu'en 1998, date à laquelle la Cour suprême a jugé que le nombre croissant de personnes exemptées du service militaire sur la base du compromis précédent nécessitait une nouvelle législation. En 2002, comme indiqué plus haut, la Knesset a adopté une loi connue sous le nom de « loi Tal » (du nom du chef d'un comité spécial créé à cet effet et dirigé par le juge de la Cour suprême Tzvi Tal, alors à la retraite), dont la durée a été fixée à cinq ans.

En vertu de cette loi, le ministre israélien de la Défense est autorisé à différer le service militaire des élèves des écoles religieuses pendant quatre ans, puis, la cinquième année, à déterminer si l'armée a besoin d'un certain nombre d'entre eux pour le service militaire ou civil, ou si elle continue à les exempter du service, sous réserve des conditions spécifiées dans la loi. En 2007, la Knesset a prorogé la loi pour cinq années supplémentaires. En 2012, avant l'expiration de la loi et après que les organisations de défense des droits de l'Homme ont fait appel à la Cour suprême, celle-ci a décidé que la loi ne pouvait pas être renouvelée. La question a continué à fluctuer dans le deuxième gouvernement de M. Netanyahu (2009-2013) puis dans le troisième (2013-2015). En 2014, le gouvernement a promulgué la loi sur le partage équitable des charges, un amendement à la loi sur le service de sécurité de 1986, dont l'objectif principal était d'augmenter le nombre d'étudiants haredim qui s'enrôlent dans l'armée et, plus tard, de les intégrer dans le marché du travail israélien. L'amendement stipule que si le public haredim refuse de fournir jusqu'à 5 200 recrues pour l'armée en 2017, le gouvernement le traitera avec les mêmes outils que ceux utilisés pour les refus du service militaire dans d'autres groupes, en imposant des sanctions financières et des condamnations pénales, tandis que si le public haredim fournit un nombre suffisant de recrues, le gouvernement exemptera les autres du service militaire après avoir reporté leur service jusqu'à l'âge de 26 ans.

Avec la formation du quatrième gouvernement de Netanyahou, à la suite des élections générales israéliennes de 2015, l'entrée des partis haredim dans ce gouvernement et la sortie du parti Yesh Atid, l'amendement apporté par le gouvernement précédent a été annulé, et une nouvelle loi a été promulguée permettant le report de la conscription religieuse jusqu'en 2023. Cependant, la Cour suprême a annulé cette loi, affirmant qu'elle n'assure pas l'égalité entre les personnes soumises à la conscription, ce qui a provoqué la colère des partis haredim contre la Cour suprême et a relancé le débat sur la conscription. Depuis lors, la Cour a donné au gouvernement israélien et à la Knesset de nouveaux délais pour promulguer une nouvelle loi réglementant la question, qui ont tous expiré à la fin du mois de juin 2023. Par conséquent, au 1er juillet 2023, il n'y a pas de loi en Israël permettant une exemption ou un report de la conscription. Cependant, le gouvernement israélien a tenté de contourner cette réalité avec une décision gouvernementale prise fin juin 2023, ordonnant à l'armée israélienne de ne pas recruter d'élèves d'écoles religieuses haredim, décision qui est restée en vigueur jusqu'au 31 mars 2024. Parallèlement, le gouvernement a continué à financer l'éducation de 66 000 élèves dans ces écoles, violant les critères de paiement et d'allocation dans ce domaine. C’est pourquoi le conseiller juridique du gouvernement a annoncé que si une loi n'était pas promulguée à la Knesset pour réglementer l'exemption et les paiements, l'armée serait obligée de commencer à préparer ces élèves au service militaire à partir du début du mois d'avril 2024, et le gouvernement serait obligé de cesser ses transferts financiers à ces écoles[2].

Les haredim et leur avenir dans la société israélienne

Bien que le débat sur la question de la conscription des haredim semble être essentiellement politique, il existe des contextes sociaux et religieux, dont nous avons souligné les plus importants ci-dessus. Le contexte économique est tout aussi important.

Une étude réalisée par le professeur Dan Ben-David, directeur de la Fondation Shoresh pour la recherche socio-économique, a confirmé que la montée en puissance des partis politiques haredim en Israël (comme en témoignent les résultats des élections générales depuis 1977) a des conséquences socio-économiques négatives considérables pour la société israélienne dans son ensemble[3]. L'étude souligne la relation directe entre le maintien au pouvoir de la droite et des haredim (qui a commencé en 1977) et les tendances négatives qui ont affecté l'économie et la société israéliennes au cours des dernières décennies, telles que le déclin continu du niveau de vie, le déclin du niveau d'éducation et du système éducatif dans son ensemble. Il prévient également que « si les gouvernements de droite continuent à fermer les yeux sur le danger que le système éducatif haredim et ses programmes représentent pour l'avenir d'Israël, ils seront responsables de la transformation d'Israël en un pays sous-développé du tiers monde », ajoutant que « si les étudiants haredim n'apprennent pas les matières de base nécessaires (les sciences et les langues, en particulier l'anglais), qui seront les futurs médecins et ingénieurs d'Israël ?".

L'étude attire l'attention sur le fait que les résultats des élections de ces dernières années, qui confirment le pouvoir croissant des partis haredim, se reflètent évidemment dans les consultations entre le Likoud de Benjamin Netanyahou et les deux principaux partis haredim (Judaïsme uni de la Torah et Shas) en vue de former une coalition gouvernementale et d'ouvrir la voie à leur entrée dans le nouveau gouvernement israélien. Ces résultats entraînent une augmentation du nombre de portefeuilles ministériels et de postes de haut niveau occupés par les haredim, une augmentation des budgets gouvernementaux accordés à leurs écoles, une nouvelle baisse de leur volonté d'intégration sur le marché du travail, une réduction des tentatives d'introduction des matières de base (sciences et langues) dans les établissements d'enseignement haredim, enfin l'avortement de la « loi sur la conscription » qui aurait pu accélérer l'intégration des haredim dans la société israélienne.

Scénarios

Les implications de la question de la conscription/exemption haredim restent floues. Les dirigeants haredim continuent d'attaquer la décision de la Cour suprême et la position du conseiller juridique du gouvernement. Ils critiquent également Netanyahu qui, avant la guerre de Gaza, a choisi de poursuivre son plan ciblant le système judiciaire avant d'adopter une loi, réclamée par les haredim, qui donnerait à l'apprentissage de la Torah un statut alternatif à celui du service militaire. Le leadership spirituel des partis haredim a laissé entendre qu'il n'accepterait pas de rester au gouvernement s'il n'y avait pas de solution à cette question, ce qui ne sera pas le cas, car le ministre Benny Gantz, qui a rejoint le gouvernement d'urgence au début de la guerre, et même le Likoud, s'opposent à une telle solution.

En conséquence, il existe plusieurs scénarios pour la crise actuelle, notamment les deux suivants :

Le premier : Parvenir à un compromis acceptable sur la loi qui réponde aux exigences de tous les partis de la coalition gouvernementale du gouvernement de Benjamin Netanyahou, composée de 64 membres de la Knesset, ce que recherche Netanyahou et qui se heurte à une certaine opposition au sein du Likoud.

Deuxièmement : La promulgation d'une loi qui ne répond pas aux exigences des partis haredim, ce qui pourrait entraîner leur retrait de la coalition gouvernementale et avancer la date des élections générales, car ces partis ont clairement menacé de se retirer du gouvernement si une loi n'est pas promulguée conformément à leurs exigences.

 

[1] Yuval Shani et Meret Sharabi-Lavi, "The History of Haredim Jews Not Enlisting in the IDF", Israel Democracy Institute, 25 février 2024, site web de l'Israel Democracy Institute.

[2] Salim Salameh, "The issue of conscripting Haredim yeshiva students for military service reaches the decisive finish line in the Israeli Supreme Court, The Israeli Landscape", Palestinian Center for Israeli Studies - Madar, 4/3/2024.

[3] Dan Ben-David, "Policy Paper : Two Wars and Demographics, A Long-Range View of the Results of the Recent Elections in Israel", Shorsh : Fondation pour la recherche socio-économique, mai 2019.

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À PROPOS DE L’AUTEUR:: 

Anton Shulhut : Écrivain et chercheur palestinien.