Gaza : Le sport palestinien dans la ligne de mire
Date:
5 avril 2024
Thématique: 

En décembre dernier, au cours de la guerre menée par l'occupation israélienne contre le peuple palestinien dans la bande de Gaza, des photos ont été prises de détenus palestiniens placés par l'armée dans le stade de Yarmouk, après l'avoir transformé en centre de détention et de torture. Selon une déclaration de la Fédération palestinienne de football[1], le stade a été fondé en 1938 et a été équipé pour être un stade international accrédité en tant que stade national palestinien, et a été le témoin de nombreuses célébrations nationales, d'autant plus qu'il peut accueillir plus de 8 000 sièges, sans compter les places réservées aux officiels.

Le stade de Yarmouk a été transformé en centre de détention, et des vidéos ont montré des détenus, hommes et femmes, jeunes et vieux, en situation dégradante. L'armée d’occupation a également obligé les femmes (dont certaines avaient plus de 80 ans) de se dévoiler, fouillé tout le monde et soumis les femmes à un « harcèlement explicite, des coups et des abus », selon une déclaration de l'Observatoire euro-méditerranéen des droits de l'homme, qui a ajouté que l'occupation a forcé « des hommes, y compris des enfants de 10 ans, à se déshabiller jusqu'à leurs sous-vêtements, y compris des personnes âgées de plus de 70 ans, et les a forcés à s'aligner de manière humiliante devant des femmes détenues dans un stade voisin »[2].

Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg de ce qui s'est passé dans le stade, qui était autrefois un terrain de sport, et devenu une prison où toutes sortes de violations des droits de l'homme ont été pratiquées. Beaucoup de personnes qui y étaient détenues n'ont pas encore parlé, et on n'a pas réussi à les joindre pour les interroger sur tous les détails de ce que les soldats de l'occupation leur ont fait subir.

La Fédération palestinienne de football (PFA) a publié une déclaration soulignant que l’attaque du stade de Yarmouk est « une violation flagrante de la Charte olympique et de toutes les lois et conventions continentales et internationales[3] Les pertes du mouvement sportif se sont  élevées à 179, dont 104 joueurs de football, parmi lesquels 26 enfants et 78 jeunes »[4] (ce chiffre inclut la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Le dernier martyr en date est Youssef Hamadeh, 21 ans, qui jouait pour Yarmouk en deuxième division avant de rejoindre Shabab Jabalia en première division[5]. Un autre martyr est l'entraîneur général de l'équipe nationale olympique, Hani al-Masdar, qui a été blessé par des éclats de roquette visant la région centrale de la bande de Gaza[6]. Le 21 février, l'arbitre assistant international palestinien Mohammad Khattab, sa femme, ses quatre enfants et d'autres membres de sa famille ont été tués après le bombardement de sa maison à Deir al-Balah. Khattab est un arbitre accrédité par la FIFA depuis 2020 et a participé à l'arbitrage de tournois asiatiques et arabes. Abdul Hafiz al-Mabhouh, joueur de l'équipe palestinienne de judo, Omar Abu Shawish, membre du Bureau exécutif de la Fédération de la culture sportive, Bassem al-Nabahin, joueur du club de basket-ball al-Bureij, Mohammad al-Dalou, chef de la Fédération de tennis de table, et de nombreuses autres personnes sont également tombées en martyrs.

S’ajoutent le joueur de football Ahmad Awad Salman, les joueurs de Hilal Gaza Mohammad et Mahmoud Abu Dan et leur famille, leur coéquipier Hilal Dabour et sa famille, le joueur de Khan Younès Services Academy Mohammed Qanan, les joueurs de SCORE Academy Abdullah et Mohammad Abu Sneima, le joueur du Tulkarem Centre Club Osama Abu Nahar, et le joueur de Samba Academy Abdul Qader al-Attar.

La Palestine a également perdu dans cette guerre la joueuse de l'équipe nationale palestinienne de karaté, Nagham Abu Samra (26 ans). Gravement blessée dans le bombardement du camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Gaza, elle a été amputée d’une jambe, ce qui l’a plongée dans le coma pendant environ un mois, et malgré son besoin urgent de quitter Gaza, personne n'a répondu aux appels de sa famille. Nagham avait obtenu une maîtrise en éducation physique et avait ouvert un centre d'entraînement au karaté pour les filles. Comme Nagham, Yasmin Sharaf, 6 ans, qui pratiquait le karaté à la Champions Sports Academy, rêvait de devenir ceinture noire dans son sport et de remporter un championnat.

Les données publiées par les fédérations sportives et d'autres institutions concdernées indiquent que 28 installations sportives ont été détruites, 22 dans la bande de Gaza et 6 en Cisjordanie. Le ciblage le plus récent d'installations sportives a touché le siège du Shujaiya Union Club, faisant « 15 martyrs qui s'étaient réfugiés dans le bâtiment »[7].

 

Solidarité sportive

Le 15 octobre 2023, le nageur égyptien Abdel Rahman Sameh a remporté l'or au 50 m papillon lors de la Coupe du monde en Grèce, et lors de son couronnement, il a fait cette déclaration : « Honnêtement, je ne sais pas si je peux célébrer cet exploit alors que mes frères et sœurs sont tués en Palestine en ce moment même. J'ai eu une semaine très difficile mentalement et j'ai reçu des menaces de mort pour mon soutien au peuple palestinien ». Cela a conduit la FINA à retirer le nom du médaillé d'or de son site web et de ses pages officielles, et même de la photo de groupe des médaillés.

L'international algérien Youssef Attal, défenseur du club français de Nice, a été arrêté par la police française pour « apologie du terrorisme ». Il avait exprimé son soutien à la cause palestinienne sur son compte Instagram et porté une keffieh en signe de solidarité. Le maire de Nice a exigé qu'Attal s'excuse.

Quant au maroco-néerlandais Anwar El Ghazi, qui joue pour le club allemand de Mayence, il a été suspendu en raison de sa solidarité avec la Palestine et les Palestiniens. Une rumeur a couru selon laquelle il se serait excusé, mais il a clarifié sa position sur son compte Instagram, en déclarant : « Je n'ai pas de regrets, et je n'ai pas l'intention d'en avoir », avant d’ajouter : « Toute déclaration, tout commentaire ou toute excuse qui me sont attribués sont abusifs, et je ne le permettrai pas ».

La FIFA et la Palestine

En Irlande, au début de l'agression, les supporters de Derry ont scandé des chants de soutien à Gaza et à la cause palestinienne lors d'un match contre Shelbourne en Irish Premier League. Les supporters de l'équipe italienne AC Milan, au stade San Siro, contre Udinese, ont scandé des chants en faveur de la Palestine et des Palestiniens, et ont brandi une banderole dans les tribunes sur laquelle on pouvait lire « Silence quand les enfants dorment, pas quand ils meurent, arrêtez la guerre ». Des supporters de Liverpool (Angleterre), du Celtic (Écosse), de Séville et de la Real Sociedad (Espagne) ont brandi des drapeaux palestiniens pendant les matchs. Des scènes similaires se sont déroulée dans certains stades du monde arabe, en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

En revanche, la FIFA et l'UEFA n'ont pas repris la position des nombreuses équipes sportives et de leur public en prenant une position claire sur le génocide, mais au contraire, elles sont restées silencieuses, à l'exception de quelques commentaires sans intérêt et de deux messages envoyés par le président de la FIFA, Gianni Infantino, aux fédérations palestinienne et israélienne pour exprimer ses condoléances : « Au nom de la FIFA et de toute la communauté internationale du football, je voudrais exprimer nos plus sincères condoléances aux fédérations de football palestinienne et israélienne à la lumière des horribles violences de ces derniers jours ». Quant à l'UEFA, son président, Alexander Ceferin, n'a présenté ses condoléances qu'au président de la Fédération israélienne de football. En novembre 2023, l'UEFA a infligé une amende de 19 000 dollars au club écossais Celtic pour avoir agité des milliers de drapeaux palestiniens lors de son match contre l'Atlético de Madrid en Ligue des champions, le 25 octobre 2023. L'UEFA a justifié sa décision punitive en déclarant que les chants et les banderoles propalestiniens étaient des « messages provocateurs de nature offensive ».

Diplomatie sportive palestinienne

Le 11 mars, la Fédération palestinienne de football (PFA) a soumis une demande officielle à la FIFA pour inclure un point à l'ordre du jour du prochain congrès de la FIFA, qui doit se tenir à Bangkok, en Thaïlande, le 17 mai. La proposition, qui a été soutenue par 6 associations membres, exige que la FIFA, en tant qu'organisation internationale responsable de la réglementation et de l'administration du football, prenne des sanctions immédiates et appropriées contre les équipes israéliennes, y compris les équipes nationales et celles des clubs, et traite sans délai les violations continues des règlements de la FIFA par l'Association israélienne de football (IFA) qui inclut dans le championnat israélien des équipes de football basées dans des colonies construites sur le territoire d'une autre fédération, l'Association palestinienne de football. Le même texte pointe l'échec répété de la FIFA à prendre des mesures décisives contre la discrimination et le racisme.[8]

On ne sait pas si la FIFA répondra à la demande de la fédération palestinienne de football, ni si la communauté sportive mondiale défendra un peuple en cours d'extermination. Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'une des nombreuses tentatives, dans divers domaines, de faire entendre la voix de la Palestine, autant que possible, dans tous les forums du monde.

 

[1] « Déclaration de l'Association palestinienne de football concernant la destruction par l'occupation du stade de Yarmouk à Gaza et sa transformation en centre de détention et de torture », Association palestinienne de football, 27/12/2023.

[2] « Israël doit révéler le sort des dizaines de femmes qu'il a arrêtées à Gaza et enquêter sur les pratiques de torture et de harcèlement », Observatoire euro-méditerranéen des droits de l'homme, 26/12/2023.

[3] « Déclaration de l’Association… », source précitée.

[4] « Les crimes de l'occupation contre le football palestinien se poursuivent... 104 martyrs et 28 installations détruites », Fédération palestinienne de football, 31/3/2024.

[5] Ibid.

[6] « Violations israéliennes contre le football dans les gouvernorats du sud », Fédération palestinienne de football, 6/3/2024.

[7] « Crimes de l'occupation contre le football... », Ibid.

[8] « La Fédération de football soumet une demande officielle à la FIFA pour mettre fin aux violations de l'occupation contre les sports palestiniens », Fédération de football palestinienne, 19/3/2024.

À propos de l’auteur: 

Ayham al-Sahli : Journaliste palestinien de Haïfa, né à Yarmouk, et basé à Beyrouth.

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