La situation au Sud-Liban et la probabilité d'une escalade
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Le lendemain de l'opération « Déluge d’Al-Aqsa », le 7 octobre, le Hezbollah a annoncé l'ouverture d'un nouveau front à la frontière libanaise avec Israël et affirmé que l'objectif était de soutenir le mouvement Hamas et de réduire la pression militaire israélienne sur Gaza. À partir du 9 octobre, le Hezbollah a commencé à bombarder les avant-postes militaires israéliens dans la région frontalière. Le même jour, le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, a recommandé l'évacuation des colonies israéliennes proches de la frontière avec le Liban et a déplacé des unités militaires vers cette frontière, entamant ainsi une série d'actions militaires contre le Hezbollah.

La question qui s'est posée dès le premier jour était la suivante : ces affrontements à la frontière libanaise pourraient-elles dégénérer en guerre totale ? Lorsque le gouvernement israélien a hésité sur la manière de gérer le front avec le Liban et qu’il a rejeté la suggestion faite par Galant le 11 octobre de mener une attaque préventive contre les combattants du Hezbollah déployés près de la frontière, il est apparu clairement que les dirigeants militaires et sécuritaires d'Israël préféraient se concentrer sur leur assaut contre Gaza et traiter le front nord comme un élément secondaire. En réponse, le secrétaire général du Hezbollah, Hasan Nasrallah, a annoncé le 3 novembre, dans son premier discours après le début de la guerre contre Gaza, que l'objectif de son parti dans sa lutte contre l'armée israélienne à la frontière était d'offrir un « soutien » et de réduire la pression militaire israélienne sur le Hamas. Il a ajouté que son parti n'avait pas l'intention d'impliquer le Liban dans une guerre destructrice, alors qu’il se trouve plongé dans une grave crise économique et sociale.

Trois mois s'étant écoulés depuis le début de la guerre contre Gaza, et à la suite de l’escalade qui a eu lieu dans les confrontations entre le Hezbollah et l'armée israélienne au cours des dernières semaines, en particulier à la suite de l'assassinat d'un haut responsable du Hamas, Salih al-`Aruri, dans la banlieue sud de Beyrouth, le parti a répondu en bombardant la base aérienne israélienne de Meron.  Ce bombardement a été suivi par l'assassinat de Wissam al-Tawil, commandant de la brigade Ridwân, et, le jour suivant, un drone israélien a pris pour cible une voiture transportant des combattants du Hezbollah, avant l’assassinat d’un officier supérieur responsable des drones.

Les récentes déclarations des responsables israéliens mettent l'accent sur une « transformation radicale »[1] de la situation du côté libanais de la frontière, comprenant le retrait des combattants du Hezbollah au-delà du fleuve Litani, son désarmement et le déplacement de ses bases, conformément à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a mis fin à la guerre israélienne de juillet 2006. Ces responsables affirment qu'ils ont donné une chance à la diplomatie mais qu'en cas d'échec, ils auront recours à la force.

Dans son discours prononcé le 5 janvier 2024, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a répondu aux déclarations israéliennes et aux propositions américaines d’un nouveau tracé de la frontière terrestres entre les deux pays en échange d'un retrait du Hezbollah au-delà du fleuve Litani en déclarant que retracer cette frontière était « une opportunité historique » pour le Liban, mais que des négociations ne pourront avoir lieu avant la fin de la guerre d'Israël contre la bande de Gaza.

L’écart est considérable.  Si les Israéliens donnent une chance aux efforts diplomatiques pour trouver une solution à la présence militaire du Hezbollah près de la « ligne bleue », le Hezbollah lie son retrait à la fin de la guerre contre Gaza, qui est maintenant passée à sa « troisième étape ». Or, selon les Israéliens, celle-ci pourrait durer de nombreux mois et ne s'arrêtera pas tant que la situation à Gaza n'aura pas été « radicalement transformée ».

Cet article cherche à analyser la stratégie militaire d’Israël dans ses récents affrontements avec le Hezbollah et les groupes armés palestiniens dans le sud du Liban, et à évaluer les intentions israéliennes quant à l'avenir de ce front. Il traite également des efforts diplomatiques déployés par les États-Unis et d'autres États pour parvenir à un règlement politique de la crise à la frontière avec Israël et écarter le danger d'une guerre de grande envergure.

La stratégie d'Israël face à la présence militaire du Hezbollah (2006-2024)

Depuis la fin de la guerre de juillet en 2006 et jusqu'à aujourd'hui, la stratégie militaire israélienne face à la menace que représente le Hezbollah pour la sécurité d'Israël est passée par trois étapes :

La première était politique, celle de « lignes rouges » (2006-2013) ; elle était basée sur un « équilibre de la terreur » ou une « dissuasion mutuelle ». L'objectif d'Israël était d'empêcher le Hezbollah de renforcer ses capacités militaires, et cela en ciblant la contrebande d'armes en provenance d'Iran, via la Syrie, et en empêchant le Hezbollah d'obtenir des armes de pointe, ce qui serait, selon Israël, une « rupture d'équilibre ». Au cours de cette étape, Israël s'est abstenu de lancer des assauts sur le territoire libanais pour éviter une réponse violente du Hezbollah qui mettrait son propre front intérieur en danger. Ce dernier est le principal point faible d'Israël.

Efraim Anbar et Etan Shamir appellent cette stratégie « tondre l'herbe », son but étant de « traiter des conflits continus et insolubles, et d'utiliser la force, non pas pour atteindre des objectifs politiques mais pour affaiblir les groupes armés non étatiques, en espérant que cela conduise à une dissuasion temporaire ».[2]

Pour prolonger la période de calme aussi longtemps que possible, Israël a donc recours à des frappes préventives ininterrompues dans l'espoir que l'effet cumulatif de ces frappes dissuadera ses ennemis. Cependant, Israël s'est rendu compte que la dissuasion découlant de cette théorie était en fait très limitée dans le temps et qu'elle reposait sur des circonstances susceptibles de changer. En outre, cette théorie n'a pas empêché les ennemis d'Israël d'améliorer leur armement, ce qui s'applique à la fois au Hezbollah et au Hamas.

La deuxième étape est celle de la « bataille entre les guerres », qui a commencé au début de 2013, deux ans après le déclenchement de la guerre civile syrienne. Gadi Eisenkot, alors chef d'état-major de l'armée israélienne, a été le premier à formuler cette nouvelle doctrine de sécurité. Ses objectifs peuvent être définis comme suit : « affaiblir l'ennemi, diminuer sa capacité militaire et créer les circonstances propices à la victoire dans une guerre future ».[3]

Cette stratégie consistait également à lutter contre tout renforcement de la présence militaire iranienne en Syrie, en particulier près de la frontière israélienne, et à empêcher le Hezbollah d'acquérir des missiles à guidage précis et de développer ses capacités militaires. Mais dix ans après avoir appliqué cette doctrine, les Israéliens ont admis que la « bataille entre les deux guerres » n'a pas réussi à faire évoluer la situation au Moyen-Orient dans le sens qu’ils souhaitaient et n'a pas eu d'effet positif sur Israël lui-même. Contrairement aux attentes d'Israël, les capacités militaires du Hezbollah se sont renforcées au point que le chef du renseignement militaire israélien, Aharon Haliva, a dû admettre « que le Hezbollah n'a pas été, pendant longtemps, juste un bras iranien, mais qu'il est devenu partie prenante de la prise de décision à Téhéran ». Les discussions ne portent plus sur la question de savoir « si le Hezbollah est le bouclier du Liban ou le bouclier des chiites ou le bouclier de l'Iran ou de n'importe quelle partie de cet axe. Il est lui-même devenu l'axe ».[4]

La troisième étape est celle des opérations militaires israéliennes actuelles que l'on pourrait qualifier, d'un point de vue stratégique, de « destruction cotre destruction », pour citer Nir Dfuri, correspondant militaire de Canal N 12.[5] Il s'agit d'agressions très violentes, d'assassinats ciblés de personnalités du Hezbollah et de la création d'une situation de terreur et de destruction dans une zone de 15 kilomètres au nord de la frontière israélo-libanaise, tout en restant au bord de la guerre sans aller plus loin.

Que veulent dire les Israéliens lorsqu'ils appellent à un « changement radical » de la situation sécuritaire au Sud-Liban ?

L'attaque soudaine du Hamas sur l'enveloppe de Gaza a prouvé l'inexactitude des attentes israéliennes selon lesquelles l'ennemi a été « dissuadé ». Ce qui s'est passé dans les colonies de l'enveloppe de Gaza a offert un exemple terrifiant de ce qui pourrait arriver aux colonies israéliennes situées à quelques mètres seulement de la frontière avec le Liban. Il n'était donc plus possible de compter sur les obstacles sécuritaires placés le long de la frontière, qui avaient coûté assez cher à Israël, ni sur la supériorité en matière de cyber technologies. Les citoyens israéliens vivant dans le nord d'Israël ont réagi à ce qui s’est passé dans l'enveloppe de Gaza comme si cela concernait personnellement chacun d’eux. Cela explique pourquoi Israël est si favorable au retour de plus de 60 000 déplacés israéliens à leurs foyers à la frontière avec le Liban, alors qu’ils refusent de rentrer dans leurs colonies si la brigade Ridwân, la force d'élite du Hezbollah, ne se retire pas de la région frontalière.

Dans ses confrontations avec le Hezbollah, l'objectif d'Israël est devenu par conséquent un « changement radical de la situation sécuritaire » au Sud-Liban. Cet objectif est similaire à celui de la guerre contre Gaza, qui consiste à détruire la capacité militaire et politique du Hamas et à créer une nouvelle situation. Mais aujourd'hui, trois mois après le début des massacres et des destructions massives, on ne sait toujours pas à quoi ressemblerait l'objectif qu'Israël cherche à atteindre à Gaza. Deux questions se posent à cet égard : Si les efforts diplomatiques américains ne parviennent pas à régler le conflit avec le Hezbollah, comment Israël pourra-t-il changer la situation au Sud-Liban alors que les capacités militaires du Hezbollah sont des dizaines de fois supérieures à celles du Hamas ? Et le « changement de statut » au Sud-Liban n’est-il pas un autre objectif impossible à atteindre, Israël devant prolonger les affrontements dans le Sud sans en voir l’issue et les transformer finalement en une guerre d'usure à long terme ?

Plusieurs raisons empêchent actuellement Israël de mener une guerre à grande échelle contre le Hezbollah :

  1. Israël doit achever ses objectifs militaires à Gaza, en particulier avec le début de la troisième phase de cette guerre.

  2. Plusieurs experts militaires israéliens estiment que les frappes contre le Hezbollah contribuent à affaiblir sa capacité militaire et que la guerre d'usure menée par Israël a changé les règles du jeu.[6] Certains rapports israéliens font état du retrait de la brigade Ridwân de la ligne frontalière située au nord de Jabal al-Shaykh (Mont Hermon) et du retrait d'autres unités, comme `Aziz, dans le secteur ouest, Nasser dans le secteur central et Haidar dans le secteur nord.[7]

  3. Il n'y a pas de majorité dans l'opinion publique israélienne pour soutenir une guerre à grande échelle au Liban dans le but de permettre aux colons du Nord de retourner à leurs lieux de résidence.[8]

  4. La position ferme des Etats-Unis qui s'opposent à ce que les affrontements actuels se transforment en une guerre plus large contre le Liban, alors que leurs efforts se poursuivent pour parvenir à une solution diplomatique acceptable pour les deux parties.

Les chances de succès de la médiation américaine

Dès le début de la guerre israélienne contre Gaza, les États-Unis se sont fermement opposés à toute extension de la guerre au nord.  Le président américain Biden a adressé un avertissement clair au Hezbollah et à l'Iran pour qu'ils n'élargissent pas le conflit. Lorsque les affrontements se sont intensifiés, un effort de médiation américain a été entrepris par l'envoyé spécial Amos Hochstein, qui a présenté une proposition claire aux deux parties. Dans son dernier discours du 5 janvier 2024, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait allusion à cette proposition qui prévoit le retrait d'Israël des fermes de Chebaa, des collines de Kfar Shuba et de la partie nord du village Al-Ghajar, un nouveau tracé de la frontière à partir du point b1, ainsi que le règlement d’autres points litigieux concernant la « ligne bleue », en échange de la création d'une zone tampon du côté libanais de la frontière.

Mais la proposition de Hochstein, qui a aussi très probablement fait l'objet de discussions avec le Secrétaire d'Etat américain Blinken lors de sa visite en Israël le 8 janvier, n'a pas encore reçu de réponse israélienne officielle, du moins pas de réponse publique, à l'exception de ce qui a été rapporté, à savoir que Hochstein n'a pas proposé un retrait israélien des fermes de Chebaa.

Alors que les Américains soulignent la nécessité de résoudre la situation tendue à la frontière libanaise par des moyens diplomatiques, les Israéliens expriment leur pessimisme quant aux chances de succès de ces efforts. Ils estiment que cet effort ne sera pas suffisant et qu'il doit être accompagné d'une "menace réelle et tangible"[9] En attendant, ils ont informé les habitants des colonies du nord que leur retour dans leurs maisons n'était pas imminent et qu'il pourrait prendre du temps.

Conclusion

On peut affirmer qu'aucune des deux parties n'a actuellement intérêt à mener une guerre de grande envergure. C'est le cas des dirigeants militaires et politiques d'Israël, malgré toutes leurs menaces, ainsi que de l'opinion publique israélienne qui ne souhaite pas de guerre dans le nord. C'est aussi le cas du Hezbollah au Liban et de l'Iran qui considère le Hezbollah comme le « joyau de la couronne » de la sécurité nationale iranienne. L'Iran ne souhaite pas s'engager dans une guerre extrêmement coûteuse.[10] C'est certainement le cas de l'administration américaine qui craint qu'Israël ne l'implique dans une guerre régionale qui ne servirait pas ses intérêts.

Ce qui est clair jusqu'à présent, c'est que la politique israélienne au Sud-Liban mêle, de manière étudiée et précise, des efforts diplomatiques pour résoudre la crise et une escalade sans précédent destinée à créer de nouvelles réalités sur le terrain, comme vider les territoires libanais frontaliers de leurs habitants et les transformer peu à peu en zone d'opérations militaires, avant de désarmer le Hezbollah dans cette région par la force.

 

[1] قال بنيامين نتنياهو خلال اجتماعه مع الموفد الأميركي الخاص عاموس هوكشتاين مؤخراً إن: "إسرائيل ملتزمة إحداث تغيير جذري في الوضع الأمني على حدودها الشمالية، سواء بالوسائل الدبلوماسية أو بأي وسيلة أُخرى." أمّا وزير الدفاع يوآف غالانت فقال إن: "النافذة الزمنية للحل السياسي تضيق، ونحن ملتزمون إعادة سكان الشمال إلى منازلهم، بعد تغيير الوضع الأمني على الحدود." (نقلاً عن "يديعوت أحرونوت"، 6/1/2024).

[2] إفرايم عنبار وإيتان شامير، "ʾجز العشبʿ- استراتيجيا إسرائيل لمواجهة نزاعات مستمرة لا حلول لها"، مركز بيغن - السادات التابع لجامعة بار-إيلان، تموز/يوليو 2023 (بالعبرية).

[3] عوفر شيلح وكرميت فالنسي، "المعركة بين الحروب 2013-2013 على مفترق طرق"، مذكرة رقم 225، تموز/يوليو 2023 (بالعبرية).

[4] مقابلة مع رئيس الاستخبارات العسكرية أهرون حليفا خلال المؤتمر الذي عقده معهد دراسات الأمن القومي بعنوان: "إيران، وإسرائيل، والمحور الشيعي: هل عام 2023 هو عام المواجهة؟" 21/11/2022 (بالعبرية).

[5] نير دفوري، "المعادلة الجديدة مع حزب الله: تدمير في مقابل تدمير"، 10/1/2024 (بالعبرية).

[6] رون بن يشاي، "لسنا بحاجة إلى حرب كبيرة لإبعاد حزب الله عن الحدود"، "يديعوت أحرونوت"، 12/11/2023، في نشرة "مختارات من الصحف العبرية"، بتاريخ 13/11/2023.

[7] إيهود ياعري، "نصر الله أطلق تهديداً، لكنه يسعى للتسوية عندما يكون مطالَباً بالحسم"، "قناة N12"، 5/1/2024، في نشرة "مختارات من الصحف العبرية" بتاريخ 6/1/2024.

[8] في دراسة نشرها معهد دراسات الأمن القومي في 8/1/2024 بعنوان: "هل شنُّ حرب في الشمال شرط لعودة المهجّرين إلى منازلهم"، أظهر استطلاع للرأي أُجري في كانون الأول/ديسمبر 2023 وجود أغلبية تؤيد زيادة حجم الردود الإسرائيلية على هجمات حزب الله من دون توسعها إلى حرب واسعة النطاق، و20% فقط يؤيدون الحرب الشاملة، و29% مع بقاء الردود الإسرائيلية في حجمها الحالي.

يمكن مراجعة ترجمة النص الكامل للدراسة في نشرة "مختارات من الصحف العبرية" بتاريخ 10/1/2024.

[9] إيال زيسر، "بدأ العد العكسي للانفجار الذي لا مفر منه على الحدود الشمالية"، "معاريف"، 9/1/2024، في نشرة "مختارات من الصحف العبرية" بتاريخ 9/1/2024.

[10] كوبي مروم، "أزمة إسرائيل الاستراتيجية في الساحة الشمالية"، "قناة N12"، 9/1/2024، في نشرة "مختارات من الصحف العبرية" بتاريخ 10/1/204.

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À PROPOS DE L’AUTEUR:: 

Randa Haidar est rédactrice en chef du bulletin quotidien publié par IPS : Sélections de la presse en hébreu. Elle a contribué à l'édition de plusieurs livres publiés par l’Institut des études palestiniennes.