Les Palestiniens et l'antisémitisme
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Il est devenu courant en Occident d'accuser les Arabes et les musulmans, d'antisémitisme, et de faire l'amalgame entre l’islam et le terrorisme. Cela a été le cas dernièrement dans les nombreux commentaires sur l'opération du Hamas le 7 octobre 2023. Le Hamas a été décrit comme un mouvement “terroriste”, comparé à Daech et traité “d'antisémite”. Des comparaisons ont été établies entre les civils israéliens tués lors de l'opération et les victimes juives des camps de concentration nazis.

L'antisémitisme dans l'histoire

Le terme « antisémitisme » est associé au journaliste allemand Wilhelm Marr (1819-1904) qui l'a inventé en 1879 pour designer la “haine des juifs”. C’était dans un pamphlet qu'il a publié à Berlin, intitulé La victoire de la judaïté sur la germanité. La même année, il a fondé la Ligue des antisémites et appelé à l'expulsion de tous les juifs vers la Palestine. Pour lui, l’antisémitisme ne signifiait pas uniquement la haine des juifs, mais il englobe aussi des courants libéraux, cosmopolites et internationalists qu'il attribue aux juifs, ainsi que les notions d'égalité, de droits civiques, de socialisme et de pacifisme.

L'antisémitisme n'est pas né évidemment lorsque le terme qui le désigne a été inventé, mais remonte à l'ère pré-moderne. Les actes de violence contre les juifs, connus sous le nom de «pogroms », étaient très courants. Les gouvernements ont souvent encouragé cette violence en faisant circuler des rumeurs accusant les juifs d'utiliser le sang d'enfants chrétiens dans leurs rituels religieux. À l'époque moderne, les antisémites ont ajouté une dimension politique à leur idéologie antijuive. À partir du dernier tiers du XIXe siècle, des partis politiques antisémites sont apparus en Allemagne, en France, en Autriche et ailleurs, et des pamphlets étaient publiés, comme les Protocoles des Sages de Sion, où est dévelpppée l’idée d'une conspiration juive à l’échelle mondiale. En 1919, le parti nazi créé par Adolf Hitler donne une expression politique aux théories racistes, fondant sa popularité sur la diffusion d'une propagande antijuive et appelant à l'expulsion des Juifs d'Allemagne. Après la prise du pouvoir par les nazis en 1933, ils ont mené des campagnes de boycott des Juifs. Les 9 et 10 novembre 1938 (la nuit de cristal), les nazis d'Allemagne et d'Autriche ont détruit des synagogues et des devantures de magasins appartenant à des juifs, un tournant sur la voie de l'extermination de millions de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale [1].

L'antisémitisme est un phénomène occidental étranger aux Arabes et aux musulmans

Le regretté écrivain israélien Uri Avnery a estimé dans un article intitulé “Anti- quoi?»[2], publié en février 2015, que la plupart des attaques contre les juifs en Europe, dont de jeunes musulmans sont accusés, n'ont rien à voir avec l'antisémitisme mais sont dues à deux raisons principales: Premièrement, des raisons locales, car ces jeunes sont en majorité des enfants d'émigrés d'Afrique du Nord qui ont vu « comment la majotité des juifs algériens, par exemple, se sont rangés du côté du régime colonial français pendant la lutte acharnée pour l'indépendance». Lorsque tous les juifs et de nombreux Arabes ont quitté l'Algérie pour la France, ils ont «emporté avec eux leur ancien conflit ». Ayant vécu côte à côte dans les banlieues surpeuplées de Paris et d'autres villes, leur hostilité réciproque a perduré. La deuxième raison qui alimente cette hostilité est liée selon Avnery au conflit arabo-sioniste en cours, puisque les Arabes du monde entier, et la plupart des musulmans, se sentent impliqués dans ce conflit, en particulier lorsque quelqu’un comme « Benyamin Netanyahu ne perd pas une occasion pour déclarer qu'il représente tous les juifs du monde, rendant ainsi les juifs responsables des politiques et des actions d'Israël».

L'antisémitisme est un phénomène occidental et « inséparable de la culture européenne ». Il a des racines religieuses chrétiennes, les juifs ayant été longtemps traités de « peuple déïcide », avant d’avoir des dimensions politiques. C'est ainsi que sont apparus dans de nombreux pays européens « des groupes nationalistes extremistes qui ont tenté d'attirer les masses par la haine de l'Autre ». Les Juifs ont toujours été, et sont encore, « l'agneau sacrificiel préféré des classes pauvres en Europe », en particulier lors des « crises économiques majeures et en raison du fossé qui ne cesse de s’élargir entre les pauvres et les classes immensément riches à l’époque des multinationales». Avnery ajoute que ce phénomène est étranger aux Arabes, et que le terme « antisémitisme» est trompeur car ces derniers sont des sémites et peut-être même plus sémites que les Juifs ». Avnery observe que Wilhelm Marr n'ayant jamais rencontré d'Arabes de sa vie, les seuls sémites pour lui étaient les juifs et sa croisade était donc uniquement dirigée contre eux. Quant à Adolf Hitler, « son racisme s'étendait à tous les sémites ». Il «ne supportait pas les Arabes et, contrairement à un mythe très répandu, il « détestait le grand mufti de Jérusalem, Hajj Amin al-Husayni, qui s'était réfugié en Allemagne. L'ayant rencontré une fois pour se faire photographier avec lui à des fins de propagande nazie, il a refusé de le rencontrer à nouveau. »

L'antisémitisme et l'islamophobie sont tous deux l'expression d'une attitude raciste

Bien que le terme « sémite » selon les dictionnaires philologiques, soit apparenté à « ceux qui appartiennent à l'ensemble des peuples du Proche-Orient qui parlent ou ont parlé une langue sémitique dans l'antiquité », et qu’il comprenne donc ceux qui parlent l'hébreu, l'arabe, le néo-araméen, etc, seule la haine des juifs est considérée comme de l’antisémitisme. Ceux qui observant les manifestations organisées dans certaines villes occidentales contre l'antisémitisme sous le drapeau des «valeurs universelles», posent la question suivante: Pourquoi les organisateurs de ces manifestations se limitent-ils à condamner la haine des juifs, épargnant les actes de harcèlement et de violence commis à l'encontre des musulmans ou des Arabes? S'il s'agit d'exprimer la solidarité avec les victimes de l'actuelle guerre israélo-palestinienne, pourquoi ne parle-t-on que des victimes israéliennes et pas du massacre génocidaire en cours à Gaza qui a fait jusqu'à présent des dizaines de milliers de victimes civiles?[3]

 L'antisémitisme est un fléau qu'il faut combattre, et l’une des conditions essentielle pour y parvenir, selon l'historien et journaliste Dominique Vidal, est que «ce combat s'accompagne d'une lutte déterminée contre le racisme dont sont victimes les citoyens issus de l'émigration»[4]. Le racisme qui visait les juifs et qui a culminé avec l'Holocauste, vise aujourd'hui les musulmans, l'islamophobie étant devenu, comme l'antisémitisme, le dénominateur commun de tous les partis politiques et toutes les idéologies racistes et xenophobes à travers le monde.[5]

Des différences existent bien sûr entre l'antisémitisme et l'islamophobie, mais ils ont en commun deux éléments importants, comme le souligne le chercheur R. Zia Ebrahimi dans son livre Antisémitisme et islamophobie: une histoire croisée, publié en en août 2021: «la religion assimilée à une race et la vision d’une grande conspiration mondiale visant à détruire l’Occident ». Dans sa note de lecture de ce livre, la journaliste Sarra Grira indique qu'Ebrahimi considère que la judaïsation et l'islamisation du monde sont les deux spectres qui hantent la pensée et le discours d'un certain nombre d'Occidentaux. En effet, la vieille croyance en l'existence d'une “élite juive jouissant d’un pouvoir financier conséquent et d’une mainmise sur les centres de décision et de pouvoir œuvre dans l’ombre à contrôler, voire à judaïser la nation et le monde » est une croyance qui perdure, alors que le “complot islamiste» est d'origine récente, faisant son apparition quotidiennement dans le discours politique et médiatique français. Ce discours met en garde contre la menace d'une « submersion démographique » par les émigrés qui risquent leur vie en passant en Europe, en plus bien sûr des musulmans de France[6].

La coexistence tolérante entre les croyants dans le liwâ’ de Jérusalem (al-Quds)

Lorsque l'affaire Dreyfus a éclaté en 1894, au cours de laquelle le capitaine de l'armée française Alfred Dreyfus a été accusé de trahison, et alors que se répandaient les sentiments hystériques antijuifs de certaines élites françaises, des intellectuels arabes ont pris la défense de Dreyfus comme l’a noté la journaliste Sulayma Mardam Bey dans un article publié dans L'Orient-Le Jour de Beyrouth le 17 juin 2022. Le premier était Rachid Rida, un pionnier du fondamentalisme musulman, et le second Farah Antun, un précurseur du modernisme laïque qui a loué en 1899 le courage des défenseurs de Dreyfus dans la revue Al-Jami`a. Elle a cité à l’appui Gilbert Achcar, professeur de relations internationales à la SOAS, Université de Londres, qui a écrit : « Quand l’antisémitisme européen commence à atteindre une forte visibilité, notamment avec l’affaire Dreyfus, ceux qui pouvaient suivre ces événements exprimaient le plus souvent des sympathies pour les juifs, ces derniers étant perçus comme des “cousins orientaux” au sein de l’espace chrétien occidental[7]».

Cette attitude, qui considérait les Juifs orientaux comme des « cousins », s'est exprimée dans la coexistence tolérante des musulmans, des Juifs et des chrétiens dans le liwâ’ de Jérusalem , en particulier après la proclamation de la Constitution ottomane de 1908, qui considérait les Juifs comme des membres à part entière de la citoyenneté ottomane et des habitants de Jérusalem. Lorsque l'Italie a déclaré la guerre à l'État ottoman à la suite de l'occupation de la Tripolitaine par l'Italie en septembre 1911, les juifs de Jérusalem se sont joints à la campagne visant à l'aider à faire face à l'agression de l'Italie. Ainsi, le Conseil spirituel israélite de Jérusalem publia la prière suivante en hébreu : «Notre Sublime Etat ottoman, que Dieu l'aide et le soutienne, est très généreux et sa grâce s'étend sur tous les peuples et toutes les nations sans distinction... Mais voilà que les ennemis lui ont déclaré la guerre et ont envahi nos anciennes frontières... En conséquence, nous, votre peuple israélite, qui résidons à Jérusalem et bénéficions de tous les droits nationaux comme tous les autres habitants vivant dans la paix et le confort dans notre pays, à l'ombre de notre grand et miséricordieux roi et de ses ministres justes, vous adressons Seigneur, ô roi des rois, nos humbles prières, d'avoir pitié de nous et d'éclairer notre miséricordieux sultan et ses ministres, de les guider dans la voie qu'ils choisissent de prendre, et d’affermir leur main dans la guerre et dans les armes qu'ils utilisent»[8]. L'assemblée générale du liwâ’ de Jérusalem, qui faisait office d'organe législatif, comprenait des représentants musulmans, chrétiens et juifs. Parmi ces derniers, à l'automne 1911, se trouvaient Haim Effendi Eliyachar, un résident de Jérusalem, et Harun Effendi Almani, un résident d'Hébron[9]. Lorsque la loi de mobilisation des non-musulmans a été adoptée, de jeunes juifs se sont portés volontaires pour servir dans l'armée ottomane.

Le grand rabbin israélite a soumis une requête au ministère de la Justice demandant « la nomination de deux rabbins dans l'armée ottomane pour s'occuper de leurs coreligionnaires, un congé de 8 jours lors de leur fête principale et de 2 jours pour le Nouvel An et les fêtes mineures, l'autorisation de se render à une synagogue le samedi et la construction d'une synagogue dans une pièce spéciale ». Le rabbin de la communauté israélite de Jérusalem a aussi envoyé « un télégramme à Istanbul demandant que les troupes israélites soient exemptées, pour des raisons religieuses, de partager leurs repas avec des non-Juifs et qu'on leur donne à la place quelques pièces pour acheter leurs produits de première nécessité »[10]. Lorsque, à l'automne 1908, le liwâ’ de Jérusalem se préparait à élire trois représentants au Parlement, il y avait parmi les dix candidats Izhaq Levi, ancien inspecteur de l'agriculture dans les liwâ’s de Syrie et de Beyrouth, et dans son programme électoral il soulignait sa volonté de faire tout ce qui était en son pouvoir pour continuer à server les intérêts de la patrie en général et des terres palestiniennes en particulier . Il y promettait de s'attacher à « réformer l'agriculture, le commerce et l'industrie » , d'exiger sans cesse et de toutes ses forces « la construction des routes nécessaires à la communication et à la facilitation de la vie économique, de «,prôner la construction de nombreuses écoles » , d'atténuer « le problème du crédit en créant de nombreuses banques » et de demander que « toutes les lois et les tribunaux soient purifiées des injustices qui étouffent la justice et la vérité » . Son programme se terminait par l’affirmation qu'il ne garderait aucune rancune envers les personnes qui ne l'ont pas élu et qu'il ne cherchait aucun avantage matériel s’il était élu, ajoutant: « Si vous me préférez quelqu'un d'autre, je ne vous dirai pas que vous vous trompez, mais que vous connaissez sans doute les personnes dont les services vous sont très nécessaires en ce moment. Quant à moi, je n'aurais rien perdu, sauf la chance de vous servir en toute franchise et honnêteté, car les avantages matériels liés aux salaires des parlementaires sont très maigres, alors que mon poste actuel est, Dieu merci, de haut niveau et me dispense de toute recherche de gain matériel. »

Lors des élections du printemps 1912, deux Juifs se sont declarés candidats, David Yellin et Yusuf Hai[11]. Lors des célébrations organisées à Jérusalem par la Société de l'Union et du Progrès pour commémorer le premier anniversaire de la Constitution, Jacob Levi prononça un discours au nom de l'École normale israélite de Jérusalem, dans lequel il déclara : « Vous nous avez gracieusement invités à nous joindre à cette splendide fête nationale, à l'occasion de notre chère Constitution et nous avons accepté votre invitation... Comment ne pas le faire lorsque nous y voyons un véritable renouveau du concept d'unité et de fraternité parmi les jeunes générations de diverses religions et sectes » . Il ajouta: « Qui valorise la liberté plus que des étudiants bien au fait des événements historiques? Quel peuple a plus le droit de jouir de l'égalité et de la fraternité que le peuple israélite qui a souffert de l'injustice et du despotisme à travers les siècles? ». Il salua enfin la Société d'Union et de Progrès en son nom et en celui de ses collègues étudiants israélites, la félicitant d'avoir « la fière distinction de déraciner le despotisme », ajoutant: « Vive la Société d'Union et de Progrès! Vive la Société Union et Progrès! Vive notre État ottoman constitutionnel! Vive notre premier monarque constitutionnel![12] » 

Le sionisme change l'équation

La montée du sionisme, la déclaration Balfour et l'occupation britannique de la Palestine ont conduit au sabordage de la coexistence qui prévalait auparavant. Cependant, l'antisionisme ne s'est pas manifesté comme un antijudaïsme, mais l’hostilité à l'égard d'un mouvement colonialiste qui bénéficiait du soutien du colonialisme occidental et qui cherchait à dominer la Palestine et à déraciner ses habitants. Peu à peu, le conflit arabo-sioniste a effacé l'histoire de la coexistence pacifique entre musulmans et juifs. La plupart des juifs arabes sont devenus « les deuxièmes victimes du sionisme «lorsque la plupart des juifs nord-africains, irakiens, égyptiens et yéménites ont quitté leurs pays pour Israël, où ils ont occupé les terres laissées vacantes par les Palestiniens qui avaient été chassés de leurs villes et villages pendant la Nakba[13].

En réponse à la Nakba, certains écrivains arabes nationalistes et islamistes, clairement inspirés par l'antisémitisme occidental, ont confondu le judaïsme et le sionisme. Dans ses premières publications, le Mouvement des nationalistes arabes a assimilé le judaïsme au sionisme, considérant ce dernier comme « l'expression politique moderne » du premier. Selon lui, ceux qui considèrent le judaïsme comme une simple religion et non comme un pouvoir organisé et étroitement soudé « ne peuvent pas comprendre la grande force de l'ennemi que nous combattons, un ennemi qui ne se limite pas à l'État d'Israël mais qui comprend des millions de juifs à travers le monde, un capitalisme juif dominant, d’énormes ressources économiques juives capables de réorienter la politique, en particulier dans les pays occidentaux.»[14] La confrérie des Frères musulmans a adopté le même point de vue confondant le judaïsme et le sionisme. Après la Nakba, elle a imputé la défaite des Arabes à une « alliance entre une croisade chrétienne et le judaïsme mondial » et affirmé que « c'est dans le giron de l'esprit de croisade dominant les États occidentaux qu'est né le sionisme ou le judaïsme mondial, les deux termes étant synonymes. »[15]

La résistance palestinienne et l'objectif d'un État démocratique

Depuis la création de l'OLP en 1964, sa Charte nationale établit une distinction entre le judaïsme et le sionisme. Elle rejette « la revendication de liens historiques ou spirituels liant les juifs à la Palestine » et définit le judaïsme comme une religion divine et non comme une nationalité. Le sionisme est défini comme un « mouvement colonial, agressif et expansionniste dans ses objectifs et raciste et exclusiviste dans sa composition ». La Charte considère « les Juifs d'origine palestinienne comme des Palestiniens à condition qu'ils acceptent de vivre en paix et en harmonie en Palestine ». [16]

Ce point de vue a connu une évolution notable avec la montée en puissance du Fath qui a proposé la création d'un État palestinien démocratique en 1968. Dans sa toute première déclaration adressée à la presse occidentale en janvier 1968, il a indiqué que sa lutte n'était pas dirigée contre les juifs, mais contre le « sionisme fasciste et militariste « , soulignant le fait que les Palestiniens veulent que « le jour où le drapeau de la Palestine flottera sur leur pays …libéré, démocratique et pacifique, une nouvelle ère commencera où, une fois de plus, Palestiniens et Juifs vivront côte à côte dans l'amitié » .

Dans sa déclaration adressée aux Nations unies en octobre de la même année, le Fath note que l'objectif de la résistance palestinienne est de « libérer l'ensemble de la Palestine de la rapine et de l'occupation et de créer un État démocratique souverain où tous ses citoyens jouissent de droits égaux, indépendamment de leur religion ou de leur langue ». Au printemps 1969, Salah Khalaf, l'un des principaux dirigeants du Fath, a affirmé que dans un État palestinien démocratique, le droit de citoyenneté serait garanti à tout juif « et pas seulement à celui qui milite contre le sionisme, mais aussi à celui qui se débarrasse des idées sionistes». Pour atteindre cet objectif, Khalaf a souligné l'importance de mettre en évidence le caractère non racial de la révolution palestinienne de manière à « clarifier notre attitude bienveillante à l'égard des juifs en tant qu'êtres humains » et à les convaincre « que nous ne sommes pas, comme le dépeint la propagande sioniste, des barbares déterminés à les massacrer et à jeter leurs femmes et leurs enfants à la mer ». Cette revolution, ajouta-t-il, appelle les États arabes à exprimer leur volonté d’ « accueillir tous les juifs qui ont émigré en Israël et de leur restituer leurs biens et leurs droits civiques en tant que citoyens arabes de ces États, sur un pied d'égalité avec les autres citoyens.» Les mouvements de gauche au sein de l'OLP sont allés encore plus loin. En 1970, le FPLP estimait que le courant socialiste et unioniste du monde arabe apporterait « une solution démocratique à toutes les nationalités et minorités, non seulement en Palestine mais dans tout le monde arabe » , ajoutant que dans le cadre de l'État qui serait créé après la libération de la Palestine, « une solution démocratique serait apportée à la question juive en Palestine car les juifs deviendraient des citoyens jouissant des mêmes droits et obligations que tous les autres citoyens » .

À la même époque, le FDLP affirmait qu'un « peuple juif « avait vu le jour sur la terre de Palestine et qu'il avait le droit de jouir d'une égalité totale au sein de l'État palestinien démocratique et le droit de développer sa culture nationale. Le FDLP a exprimé son rejet de toutes les « solutions sionistes chauvines et réactionnaires», ainsi que des « solutions chauvines palestiniennes et arabes proposées avant et après 1967, appelant à massacrer les Juifs et à les jeter à la mer ». Le FDLP préconisait la création d'un État palestinien démocratique et populaire, une fois « l'entité sioniste démantelée », où Arabes et Juifs « vivraient ensemble sans discrimination, dans un État qui s'opposerait à toute forme d'oppression de classe ou nationale, tout en donnant aux Arabes et aux Juifs le droit de développer leur propre culture nationale.[17]» Par la suite, ces idées ont évolué et les différents mouvements de l'OLP ont accepté le principe de la partition de la Palestine. En 1988, l'OLP a ouvertement adopté l'objectif de créer un État palestinien indépendant dans les frontières du 4 juin 1967, et en 1993, la direction de l'OLP a reconnu le droit de l'État d'Israël « d'exister dans la paix et la sécurité ».

Le Hamas fait évoluer son programme

 Entre sa Charte, adoptée en août 1988 [18]et la Déclaration des principes généraux et des politiques annoncée en avril 2017[19], on observe une évolution notable dans le programme du mouvement Hamas. Il met l'accent dans cette Déclaration sur son caractère à la fois islamique et national palestinien alors que la Charte insistait sur son son caractère islamique mondial.

La Charte commence par affirmer que le Hamas est « une branche des Frères musulmans en Palestine et que les Frères musulmans sont une organisation mondiale » , alors que la référence aux Frères musulmans et à leur nature « mondiale » est absente de la Déclaration. Cette dernière affirme que le Hamas est un « mouvement de libération et de résistance nationale islamique palestinienne ». Alors que la Charte affirmait que la terre de Palestine est « une terre islamique, un waqf léguée à perpétuité aux générations musulmanes successives », la Déclaration décrit la Palestine comme « la terre du peuple arabe palestinien » que « l'Islam a honoré ». En outre, alors que la Charte considérait la libération de la Palestine « comme une obligation religieuse qui incombe à chaque musulman où qu'il se trouve » et que « la spoliation de la Palestine par les juifs doit être affrontée en élevant le niveau du Jihad », la Déclaration affirme que la libération de la Palestine « est le devoir particulier du peuple palestinien, et plus généralement de la nation arabe et musulmane, ainsi qu'une responsabilité humaine conforme à la vérité et à la justice». Elle ajoute que « la résistance à l'occupation, par tous les moyens, est un droit légitime consacré par toutes les religions divines, les conventions et les lois internationales » et que « la résistance se poursuivra sans interruption jusqu'à la libération, la mise en oeuvre du droit au retour et la création d'un État pleinement souverain avec Jérusalem pour capitale ». 

L'influence des écrits antisémites occidentaux sur la Charte de 1988 est évidente: « L'ennemi a depuis longtemps établi un plan minutieux pour réaliser ses objectifs... il a amassé de vastes ressources monétaires qu'il a consacrées à la réalisation de son rêve… Grâce à leur richesse, ils en sont venus à dominer les médias mondiaux... Grâce à leur richesse, ils ont déclenché des révolutions dans le monde entire, et cela dans leurs propres intérêts. Car ce sont eux qui sont à l'origine des révolutions française et communiste et d'autres révolutions dont nous entendons parler ici et là. Grâce à la richesse, ils ont formé des sociétés secrètes répandues dans le monde entier qui visent à miner la société et à réaliser les intérêts sionistes, comme les francs-maçons, les Rotary Clubs, les Lions Clubs, les Enfants de l'Alliance, etc». La Charte ajoute: «Grâce à leur richesse, ils ont pu contrôler les puissances impérialistes, les poussant à coloniser de nombreux pays afin d'exploiter leurs richesses et de les corrompre. Ils ont pu obtenir la déclaration Balfour et ont créé la Société des Nations pour gouverner le monde à travers cette organisation... Ils ont été à l'origine de la Seconde Guerre mondiale et ont acquis d’énormes fortunes grâce au commerce des armes, préparant ainsi la voie à la création de leur État …Ils ont été à l'origine de la création de l'ONU et du Conseil de sécurité afin de gouverner le monde à travers ces organisations. »

En revanche, l'influence de l'antisémitisme occidental est totalement absente de la Déclaration de 2017, qui affirme que le Hamas « croit que l'Islam est une religion de paix et de tolérance, sous l'ombre de laquelle les adeptes de toutes les confessions peuvent vivre en paix et en sécurité. Il croit en outre que la Palestine était et reste un modèle de coexistence, de tolérance et de créativité culturelle ». La Déclaration affirme par ailleurs que « la lutte contre le projet sioniste n'est pas une lutte contre les juifs en raison de leur religion » et que le Hamas « ne combat pas les juifs en tant que juifs mais mène une lutte contre les occupants sionistes agressifs alors que ce sont eux qui insistent sur le caractère juif de leur entité illégitime». La Déclaration se poursuit ainsi: « Le Hamas s'oppose à l'oppression de tout être humain... et considère la question juive, l'antisémitisme et l'oppression des juifs comme des phénomènes associés essentiellement à l'histoire européenne, et non à l'histoire et aux traditions arabes ou islamiques».

Conclusion

L'antisémitisme est un phénomène occidental, qui est né et s'est développé en Occident, et qui a pris son aspect le plus flagrant lors de l'Holocauste nazi et du massacre de millions de juifs. Ce phénomène est étranger aux Arabes et aux musulmans, et d’éminentes personnalités arabes l’ont dénoncé.

Alors que les Juifs avaient coexisté en paix et en sécurité avec les musulmans et chrétiens dans les pays arabes et islamiques, la montée du sionisme, la cristallisation de son programme colonial et l’occupation de la Palestine ont bouleversé cette coexistence, suscité des sentiments d' « hostilité « à l'égard des juifs et amené certains partis politiques, surtout après la Nakba, à se laisser influencer par l’antisémitisme occidental. Celui-ci n'a pas eu d'impact sur les mouvements palestiniens qui se sont rassemblés dans l'OLP, avec l’objectif de créer un État palestinien démocratique, et le Hamas, qui en avait été à ses débuts influencé, a réussi quelques années plus tard à s’en défaire. Il a abandonné l'amalgame entre judaïsme et sionisme et a attribué l'antisémitisme et l'oppression des Juifs à l'histoire occidentale. En fait, certains dirigeants du Hamas, même pendant la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza, ont annoncé qu'ils acceptaient la création d’un État palestinien indépendant dans le territoire occupé par Israël en 1967 et sont allés jusqu'à donner l’impression qu’ils étaient prêts à envisager une « reconnaissance » d’ Israël. 

 

[1] https://www.amazon.fr/victoire-juda%C3%AFsme-sur-germanisme/dp/1648586708

https://www.universalis.fr/encyclopedie/antisemitisme/

[2] Uri Avnery, “Anti quoi?”.

[3] https://www.alterpresse68.info/2023/11/09/a-mulhouse-une-veillee-pour-gaza-contre-le-racisme-et-lantisemitisme

[4] https://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/VIDAL/12502

[5] https://www.emancipation.fr/2020/01/24/de-lantisemitisme-des-annees-30-a-lislamophobie-daujourdhui/

[6] https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/article5124

[7] https://www.lorientlejour.com/article/1302887/antisemitisme-dans-le-monde-arabe-histoire-dune-importation.html

[8] "دعاء الإسرائيليين في القدس لأجل الحرب"، جريدة "القدس"، العدد 268، السنة الرابعة، الثلاثاء في 4 و17 تشرين الأول/أكتوبر 1911، ص 2.

[9] المصدر نفسه، العدد 198، السنة الثالثة، الثلاثاء في 16 و29 تشرين الثاني/نوفمبر 1910، ص 2.

[10] المصدر نفسه، "أخبار محلية"، العدد 105، السنة الثانية، الجمعة في 20 تشرين الثاني و3 كانون الأول/ديسمبر 1909، ص 3؛ "الجنود الإسرائيليون"، العدد 206، السنة الثالثة، الثلاثاء في 21 كانون الأول/ديسمبر 1910 و3 كانون الثاني/يناير 1911، ص 2.

[11] المصدر نفسه، "بيان (من إسحق ليفي، مفتش الزراعة في ولايتي سورية وبيروت سابقاً، مرشح لمجلس المبعوثان)"، العدد التاسع، السنة الأولى، الجمعة في 3 و16 تشرين الأول/أكتوبر 1908، ص 2-3؛ "روحي بك الخالدي، وعثمان أفندي النشاشيبي وأحمد أفندي عارف الحسيني"، العدد 295، السنة الرابعة، الجمعة في 20 نيسان/أبريل و3 أيار/مايو 1912، ص 1.

[12] المصدر نفسه، "بعد ثلاثة أيام"، العدد 70، السنة الأولى، الثلاثاء في 7 و20 تموز/يوليو 1909، ص 1.

[13] https://www.lorientlejour.com/article/1302887/antisemitisme-dans-le-monde-arabe-histoire-dune-importation.html

[14] ورد في: ماهر الشريف، "المشروع الوطني الفلسطيني: تطوره ومأزقه ومصائره" (بيروت: مؤسسة الدراسات الفلسطينية، 2021)، ص 61-62.

[15] ورد في: المصدر نفسه، ص 70.

[16] ورد في: المصدر نفسه، ص 95.

[17] انظر: المصدر نفسه، ص 132-136.

[18] "ميثاق حركة المقاومة الإسلامية (حماس)"، في: ماهر الشريف، "البحث عن كيان. دراسة في الفكر السياسي الفلسطيني 1908-1993" (نيقوسيا: مركز الأبحاث والدراسات الاشتراكية في العالم العربي، 1995)، ص 467-482.

[19] "الوثيقة السياسية لحركة حماس (وثيقة المبادئ والسياسات العامة)"، نيسان/أبريل 2017.

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À PROPOS DE L’AUTEUR:: 

Maher Charif : historien palestinien, docteur en lettres et sciences humaines de l'Université de la Sorbonne - Paris I. Chercheur à l'Institut des études palestiniennes. Chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient - Beyrouth.