Le 29 octobre 2023, une annonce en arabe apparaît sur l'application X (anciennement Twitter) indiquant que le ministère de l'Education et de l'Enseignement supérieur de la bande de Gaza a déclaré la fin de l'année scolaire « puisque tous les étudiants ont été tués » à la suite des raids aériens israéliens. L'annonce est ensuite devenue virale, en anglais et en français, et a été vue, avant même sa traduction en français, par 16,5 millions de téléspectateurs. Selon de nombreux internautes, l'annonce initiale à l'origine de cette rumeur, rédigée en arabe, a délibérément cherché à exagérer, mais a été mal interprétée et transmise telle quelle, surtout après sa traduction en anglais[1].
Indépendamment de ce fait divers, des centaines d'écoliers, garçons et filles, font partie des milliers d'enfants tués au cours de l'actuelle guerre d'Israël contre Gaza, de même que des centaines d'étudiants, hommes et femmes. Le ministère avait annoncé, quelques jours après le début de la guerre israélienne, la fermeture de toutes les écoles et universités et la suspension de toutes les sessions de formation et de tous les examens afin d'assurer la sécurité des étudiants et des enseignants, d'autant plus que l'assaut israélien avait directement visé un grand nombre d'établissements d'enseignement, alléguant que le Hamas les avait transformés en bases pour ses combattants.
Les élèves de Gaza privés de leur année scolaire
Le 23 octobre 2023, le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a annoncé que la bande de Gaza n'était plus un endroit sûr pour des centaines de milliers d'étudiants et d'étudiantes et pour environ 22 500 enseignants et enseignantes. Le système éducatif s'est détérioré davantage en raison des vagues de migration interne du nord de la bande de Gaza vers le sud. Les Nations unies ont estimé à 1,4 million le nombre de personnes déplacées à l'intérieur de la bande de Gaza, dont 600 000 vivent dans 150 abris d'urgence aménagés par l'UNRWA, en raison de la destruction massive des établissements d'enseignement et des infrastructures civiles.
Le communiqué ajoute que « plus de 625 000 élèves, garçons et filles, de la bande de Gaza sont désormais privés d'éducation » et que « 206 écoles ont été endommagées, dont 8 au moins servaient d'abris d'urgence », et souligne que « l'ampleur des dégâts causés aux établissements d'enseignement et aux autres infrastructures civiles suscite une inquiétude croissante ». Parmi ces établissements d'enseignement endommagés ou détruits, pas moins de 29 étaient des écoles de l’UNRWA ; de nombreux bâtiments universitaires ont été également détruits.
Selon l'OCHA, la guerre contre Gaza a aussi fortement limité l'accès aux établissements scolaires dans certaines régions de Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Toutes les écoles de Cisjordanie ont été fermées entre le 7 et le 9 octobre dernier, affectant pas moins de 782 000 élèves, garçons et filles. Sur les 1918 écoles gérées par l'Autorité palestinienne, seules 232 sont restées ouvertes, accueillant quelque 50 000 élèves.
Selon une enquête menée le 17 octobre, cela est dû aux restrictions d'accès, à la violence des colons, à la détention d'élèves ou de personnel scolaire, et à la peur du harcèlement sur le chemin de l'école. L'OCHA a précisé que « la majorité de ces écoles sont situées dans la zone C et à Jérusalem-Est, ainsi que dans des régions périphériques où les enfants ont des difficultés à accéder à leur école ».[2]
Problèmes rencontrés par le secteur de l'enseignement universitaire en Cisjordanie et à Gaza
Selon l'Office central palestinien des statistiques, il existe 49 établissements d'enseignement supérieur en Cisjordanie et à Gaza, composés d'universités, de collèges universitaires et de centres de recherche. Tous ces établissements connaissent d'énormes difficultés en raison des mesures sévèrement répressives adoptées par l'occupation israélienne, des restrictions imposées à la circulation des universitaires, du manque d'enseignants qualifiés, d'une insuffisance endémique de financement, car 60 à 70 % des revenus des universités proviennent des frais d'inscription, et, enfin, de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur, puisque les salaires du personnel de certains établissements sont entièrement payés par des donateurs internationaux.
En Cisjordanie, les universités, ont fait l'objet depuis leur création de politiques et de mesures autoritaires visant à restreindre sévèrement leur liberté, à imposer une censure sur leur production de connaissances et à leur refuser tous les supports politiques, sociaux et culturels indispensables à la vie universitaire. La plupart de ces universités ont subi des fermetures, des assauts armés et des attaques contre leurs bâtiments et leurs installations. Le régime d'occupation arrête régulièrement des étudiants sur les campus universitaires et leur tire dessus, comme cela s'est produit à plusieurs reprises à l'université de Birzeit ces dernières années, et en particulier l'été dernier. C'est à cette époque que l'armée israélienne a effectué des raids dans cinq universités et instituts d'enseignement supérieur de Cisjordanie : l'université de Birzeit, près de Ramallah, l'université arabo-américaine de Jénine, l'université d’Al-Quds (Jérusalem), l'école polytechnique palestinienne d'Al-Khalil (Hébron) et l'université palestinienne Ahliya َ. Celle-ci a été utilisé comme centre de détention après un raid sur le camp de réfugiés d'Al-Dhaysheh, près de Bethléem. Au cours de ces raids, des attaques ont été enregistrées contre les étudiants, les gardiens, les biens et les équipements, et de nombreux dossiers et appareils ont été confisqués.
La bande de Gaza compte 10 instituts universitaires accueillant quelque 90 000 étudiants, hommes et femmes, dont 5 universités (Al-Aqsa, Al-Azhar, l’université islamique, l’université de Palestine, l’université de Gaza) et 5 collèges universitaires. Les plus importants sont le Palestine Technical College à Deir al-Balah, le College of Science and Technology à Khan Younès et le College of Advanced Sciences. Avant 2005, et afin de permettre aux étudiants du secteur sud de la bande de Gaza de poursuivre leurs études, l'université Al-Aqsa a construit une extension à Khan Younès, qui s’est ajoutée aux trois branches de l'université ouverte d'Al-Quds.
En plus des difficultés communes à toutes les universités palestiniennes, celles de Gaza souffrent du long et étouffant siège imposé par Israël. La vie universitaire a été gravement affectée par la restriction de la circulation des personnes et des biens. Il n'était plus possible pour les universitaires de Gaza d'assister aux conférences auxquelles ils étaient invités par des collègues étrangers, ou même par des collègues de Cisjordanie, et il a été extrêmement difficile d'inviter des universitaires étrangers à enseigner dans les universités de Gaza. En raison du siège israélien, les universités de Gaza sont confrontées à d'autres problèmes tels que l'obsolescence des équipements ou leur absence totale, ce qui a évidemment un impact direct sur l'enseignement et la recherche. Les universités rencontrent également des problèmes d'ordre opérationnel liés principalement aux coupures d'électricité qui durent entre 4 et 8 heures toutes les 24 heures. Cela entraîne l'annulation des sessions de formation et des travaux de laboratoire, ainsi que des démonstrations explicatives contrôlées par ordinateur. Sans parler de la pauvreté générale résultant du siège qui rend 80% de la population dépendante de l'aide internationale et empêche les universités d'augmenter les frais d'inscription qui, dans la plupart des cas, constituent leur seule source de revenus.
Cependant, le plus grand problème auquel sont confrontées les universités de Gaza est leur ciblage par l'armée israélienne au cours des guerres répétées menées par Israël contre Gaza. Ainsi, au cours de la guerre de 2008-2009, l'armée de l'air israélienne a démoli six bâtiments universitaires, dont deux appartenant à l'université islamique : la faculté d'ingénierie, avec la totalité de ses équipements et ses laboratoires, et le centre IWAN pour les antiquités. Ont été aussi détruits la ferme expérimentale (140 000 m2) de Beit Hanoun, le bâtiment du département d’astronomie du centre Al-Mustaqbal de l’université Al-Azhar, et un immeuble du centre des sciences et des technologies de Khan Younès[3]. En 2014, la guerre menée par Israël a gravement endommagé 12 instituts d'enseignement supérieur, dont l'université islamique, l'université Al-Azhar, l'université de Palestine, l'université de Gaza, le collège universitaire des sciences appliquées, le collège universitaire de l'université Al-Aqsa, le collège technique de Palestine, le collège universitaire des sciences et technologies, le collège universitaire Al-Ribat, le collège d'études intermédiaires rattaché à l'université Al-Azhar et le collège arabe des sciences appliquées.[4] Au cours de la guerre de 2014, les avions israéliens F-16 ont pris pour cible l'université islamique, dont le bâtiment principal réservé à l'administration a été partiellement détruit, tandis que les autres bâtiments ont subi des dégâts considérables. À l'époque, un porte-parole de l'armée israélienne a déclaré que ce bombardement était une réponse à l'utilisation de l'université « pour collecter des dons au bénéfice du mouvement Hamas sous le couvert de conférences académiques ». Il a affirmé que l'université « était un important centre opérationnel militaire pour l'aile militaire de ce mouvement »[5]. Le 14 juillet 2018, l'aviation israélienne a bombardé les bâtiments de l'université Al-Azhar : « la bibliothèque centrale de l'université (nommée Jawaharlal Nehru) a subi de graves dommages, de même que la faculté de médecine dentaire et ses cliniques et laboratoires, les facultés d'éducation, de lettres et des sciences humaines, et de la faculté d'économie et d'administration.» En outre, «la grande salle Haïfa et la grande salle Acre ont été très gravement endommagés, de même que la salle Shaykh Muhammad `Awwad. Le centre de l'eau et de l'environnement, y compris ses laboratoires, ses salles de cours et ses divers équipements, a également subi d'importants dégâts »[6].
Le secteur de l'éducation, cible privilégiée de l’actuelle guerre d'Israël
Au cours de la guerre que mène Israël actuellement contre la bande de Gaza, l’aviation a bombardé le 11 octobre les bâtiments de l'université islamique, sous le prétexte fallacieux qu’elle serait un « centre opérationnel, politique et militaire » du Hamas, une « installation pour tester et développer des armes ». Ahmad Urabi, un responsable de l'université a déclaré à l'Agence France Presse que « des raids aériens répétés et délibérés ont complètement détruit certains bâtiments de l'université ». Personne ne pouvait entrer dans ces bâtiments en raison « des incendies qui faisaient rage et des pierres et des gravats qui bloquaient les routes entourant l'université ». Sur son site officiel Facebook, l'université a annoncé que le bâtiment de la faculté des technologies de l'information, celui de la faculté des affaires sociales et de l'éducation permanente et celui des sciences ont tous subi de graves destructions avec leurs équipements, laboratoires et meubles. Toutes les vitres dans tous les bâtiments de l'université et sur leurs façades sont brisées. L'administration de l'université a appelé les organisations internationales à « intervenir rapidement pour sauver les institutions au service du peuple palestinien et pour sauvegarder le droit des étudiants à une éducation sûre ». Le 26 octobre, puis le 4 novembre, l'aviation militaire israélienne a bombardé les bâtiments de l'université Al-Azhar. Ces bombardements ont eu lieu alors qu'un grand nombre de civils s'y étaient réfugiés. Au moins 12 personnes auraient été tuées et plus de 50 blessées, tandis que les équipes de secours tentaient de retrouver des survivants sous les décombres.[7]
En Cisjordanie, le régime d'occupation a mené une vaste campagne d’arrestation qui a touché des dizaines d'étudiants, de professeurs et de membres du personnel des universités, et a imposé de sévères restrictions aux mouvements de population et aux déplacements entre les villes des différentes provinces, ou entre elles et les villages avoisinants. Après avoir mis en place des barrages routiers barrières sur les routes menant aux villes et aux villages, Israël a empêché des milliers d'étudiants et d'employés de se rendre à leurs établissements d'enseignement. Depuis la guerre contre Gaza, le processus d'éducation a été interrompu dans toutes les universités et instituts palestiniens en raison des difficultés d'accès pour les étudiants et les enseignants, et ces derniers ont été soumis, lorsqu'ils se déplaçaient, à un harcèlement incessant et à de mauvais traitements de la part des colons et des soldats israéliens. Cette situation a contraint ces institutions à fermer leurs portes tout au long du mois d'octobre dernier et jusqu'au moment de la rédaction de cet article. Le recours à l'enseignement électronique à distance a non seulement privé les étudiants d’une vie universitaire normale, mais a affecté aussi négativement leur rôle dans la résistance politique. Le niveau de l’enseignement s’est en conséquence détérioré, et les universités ne peuvent plus accomplir leur devoir national en tant qu'espaces de production d’une pensée libre en phase avec les événement en cours.
Conclusion
L'université islamique est l'un des plus anciens établissements d'enseignement supérieur de la bande de Gaza. Elle a été fondée en 1978, soit environ dix ans avant la formation du mouvement Hamas. Il est exact de dire que les Frères musulmans ont été à l'origine de sa fondation, mais cela ne signifie pas qu'elle est devenue une « base militaire » pour le Hamas, comme le prétend l'armée israélienne pour tenter de justifier ses bombardements répétés. À cet égard, Inas `Abd al-Raziq, directrice exécutive de l'Institut palestinien pour la diplomatie publique (PIPD), souligne que « les liens qui unissent cette université au mouvement Hamas qui dirige Gaza aujourd'hui sont exactement les mêmes que ceux qui unissent la Sorbonne au gouvernement français ». Il en est ainsi parce qu'il s'agit d'une « université située à Gaza et soumise à la tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur ». Des liens existent donc mais pas avec l'aile militaire du mouvement »[8]. C'est le cas de toutes les universités de la bande de Gaza, y compris, par exemple, l'université Al-Azhar, fondée en 1991 par un décret de Yasser `Arafat.
En réalité, le ciblage par Israël des établissements d'enseignement supérieur dans la bande de Gaza assiégée et en Cisjordanie vise à mettre fin à la résistance par l'enseignement supérieur et la culture. Ces deux régions de Palestine, avec leurs 213 000 étudiants et étudiantes, en comptent un taux élevé selon les normes internationales, qui dépasse de loin celui des pays arabes voisins.
[1] https://www.liberation.fr/checknews/lannee-universitaire-a-t-elle-pris-fin-a-gaza-car-tous-les-etudiants-ont-ete-tues-comme-lavance-une-publication-virale-20231029_TDNNMCQUPZBPTMMYWUUNR4OOBU/
[2] “A Gaza, plus de 625.000 élèves privés d'école en raison des hostilités”
[3] Duval, Evelyne. “La situation universitaire dans la bande de Gaza”
[4] محمد منصور أبو ركبة (محاضر غير متفرغ في جامعة الأزهر)، "آثار العدوان الإسرائيلي على قطاع التعليم في قطاع غزة".
[5] سعد الوحيدي، "الجامعة الإسلامية بغزة: تاريخ من الاستهدافات الإسرائيلية".
[6] "جامعة الأزهر تتعرض لأضرار كبيرة خلال قصف غزة أمس"، 15 تموز/يوليو 2018.
[7] https://fr.topwar.ru/229568-cahal-razbombil-palestinskij-universitet-al-azhar-v-gaze.htm
[8] https://www.tf1info.fr/international/l-universite-de-gaza-un-campus-du-hamas-finance-par-la-france-et-l-ue-2273225.html