Un silence contraint sous l’épée de Damoclès israélienne
Date:
27 octobre 2023
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Nul n’ignore que nous autres, Arabes palestiniens à l’intérieur de la ligne verte, également appelés “ Arabes de 1948”, avons été privés du droit de parler, de nous exprimer, notamment avec les derniers événements que le pays a connus. Je ne sais vraiment pas comment cette guerre dévastatrice qui se déchaîne à l’extérieur de la ligne, à 40 km de distance de nos consciences, a pu être désignée par le terme “événements”, mais je sais pertinemment, comme tout le monde, qu’il s’agit là d’une guerre qui ne laissera derrière elle, de l’autre côté, que du sang, des ruines et des enfants démembrés. 

A l’intérieur de cette ligne verte, ligne qui devient de plus en plus rouge à chaque fois que nos vies sont considérées bonnes à liquider sous des prétextes divers - violence présumée, crime ou autres allégations- notre vie est devenue oppressante, irrespirable, n’offrant aucun répit. La liberté qui nous est accordée en tant que “citoyens arabes ” au sein de cet État, sur la base d’une loi fondamentale, celle de « La liberté et de la dignité humaine », n’en est plus une. Elle s’est transformée en lourdes chaînes qui paralysent notre parole et nous liens les mains. La guerre s’accompagne d’un saccage des lois et des libertés, d’une abolition de la démocratie, en apparence comme sur le fond, celle aussi des valeurs de la diversité, tout cela s’écoule comme les corps des victimes et une humanité devenue caduque, entraînant tout le reste dans son naufrage.  Celui qui ouvre la bouche est un homme mort, et celui qui se tait sauve sa peau. Voilà comment je décrirai notre situation dans cette guerre dont l’appellation elle-même devient matière à suspicion. Faut-il parler du “Déluge d’Al Aqsa” comme l’appelle la première partie, ou bien du “Glaive de fer” comme la désigne l’autre ?  Chacun de nous, dans cet intérieur occupé, y réfléchit à deux fois avant d’écrire la moindre ligne sur la guerre, et s’interroge pendant un bon moment : ”Vais-je encore voir le jour, si j’utilise la première appellation ?” 

Rien n’est stable en temps de guerre, tout est volatile. Il n’y a plus d’évidence admise par tous. Ce qui semblait clair devient trouble en une fraction de seconde, ce qui semblait raisonnable devient folie en un rien de temps. L’espace de la liberté d’expression - déjà bien étroit - qui nous était alloué en temps de paix diminue en temps de guerre jusqu’à devenir un trou d’aiguille, voire moins, et il continue de rétrécir jusqu’à disparaître. Si cette guerre devait durer, il ne serait pas étonnant de voir émerger une nouvelle clause, conforme à la politique du gouvernement, qui énoncerait : En cas de litige entre deux opinions, l’opinion juive prévaudra sur l’opinion arabe.

Un rapport de la police israélienne[1] publié par le journal Maariv, rapporte l’arrestation, aux premiers jours de la guerre, d’une citoyenne de Um Al Rashrash (et non pas Eilat) sous divers chefs d’accusation, quoique principalement soupçonnée d’avoir manifesté sa joie le 7 octobre. Il n’est pas étonnant que la joie soit un motif d’arrestation, nous y sommes habitués, et il ne serait pas étonnant non plus que le motif soit l’atteinte à la sûreté de l’Etat et à celle des millions d’habitants qui vivent dans cet État, nous y sommes habitués aussi.  Mais ce qui est douteux dans cette affaire c’est la nouvelle accusation, inventée à la faveur de la guerre, de “Sympathie avec les habitants de Gaza”. Si cette folie signifie quelque chose c’est bien le désir de cet État de fabriquer de nouveaux arabes palestiniens sans la moindre fidélité à leur origine, et sans le moindre lien avec le monde vivant de l’autre côté de la ligne verte. La question devient alors, avant tout autre chose, celle d’oblitérer, de vider notre conscience collective de tout appel à l’unité nationale et à la cohésion entre membres d’un même peuple, et à nous y déverser un nouveau contenu, totalement différent, axé essentiellement sur la rupture du lien entre Palestiniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur. 

Tout le monde parle en ce moment d’événements considérables qui se déroulent autour de nous et près de nous.  Les chaînes de télévision diffusent en continu des infos de dernière minute, des analyses militaires et politiques sur des chargements sans précédent sur le point d’advenir au Moyen-Orient et dans la bande de Gaza. Les réseaux sociaux ne sont plus ceux qu’on connaissait avant la guerre, notre vie elle-même a perdu ses repères habituels : des sentiments contradictoires se bousculent en nous, entre rage, colère, tristesse, malaise, aspirations et espérances, tout cela se presse dans notre esprit comme des soldats massés au front. Voilà les sentiments qui nous traversent depuis le 7 octobre.  Comment y échapper, comment les expulser de nous-mêmes ?  Où aller avec ce trop plein d’émotions alors que nous sommes muselés ?

Il en est de même de l’écriture de ces lignes que vous êtes en train de lire, et dont je ne sais si je suis autorisée à les écrire, j’ignore ce qui m’attend après leur publication : arrestation, répression, harcèlement. Non pas par ignorance de la loi (je suis diplômée de la faculté de droit) mais parce que le droit israélien prouve son inanité lorsque la sûreté de l’Etat est dans la balance. Le fait même de prier pour les habitants de Gaza - comme nous avons pu le constater - est criminalisé, du jour au lendemain, et le fait de prononcer de simples expressions religieuses rituelles telles que “Je m’en remets à la protection de Dieu”, ou “ La justice de Dieu prévaudra” ou encore “ La victoire de Dieu est proche” est interdit parce qu’il signifierait à leurs yeux une collusion avec des organisations terroristes. En fin de compte, notre sort, à nous autres citoyens de l’intérieur, ressemble fort à celui que décrivait l’écrivain Mohammad al-Maghout : « S’il y a bien un crime parfait, à notre époque, c’est celui d’être né arabe”. 

Traduit de l’arabe par Nada Yafi

 

[1] https://www.maariv.co.il/news/law/Article-1044673

À propos de l’auteur: 

Sara Hassan est écrivaine et avocate en stage à Beersheba.

"أطفال غزيين داخل مركز لإيواء النازحين في احدى مدارس قطاع غزة، 11 أبريل/ نيسان 2024، قطاع غزة/ فلسطين" تصوير " apaimages ،Omar Ashtawy"
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