“Jacques Lacarrière est un poète essentiel. Essayiste inspiré ou traducteur « redoutable », sa démarche est avant tout celle d’un raffinement devenu pour lui seconde nature. Quêteur de mots, par voyage réel ou imaginaire, comme il aime à répéter dans une sorte de distinction qui n’en est pas une, il a vite fait, une fois ces mots trouvés, de les ouvrir sur le réel. Il les entraîne et s’y laisse entraîner dans une dérive active où il est toujours à cheval sur plusieurs genres, langues et écritures. Et c’est peut-être une image concrète de lui, une figure emblématique de toute son œuvre, que l’on retrouve dans l’un de ses écrits qui ont eu le plus de retentissement, Chemin faisant, ouvrage salué, entre autres, par Gilles Deleuze et Félix Guattari dans leurs Mille Plateaux comme une entreprise d’anthropologie, voire de nomadisme intérieur et d’écriture liée à l’itinérance. Ouvrage que le poète écrivit en traversant la France, son pays, redécouvrant sa faune, sa flore, mais aussi ses paysans. Les mots surtout, une fraîcheur des mots ayant toujours constitué une dimension majeure de son écriture.
Ce livre a été suivi de près par un autre, devenu désormais classique, L’Eté grec, consacré à la Grèce telle que Lacarrière l’avait connue et aimée, austérité quotidienne et débauche d’éléments et de lumière. L’ouvrage (d’où, peut-être, son durable succès de librairie) n’a pourtant rien d’exotique, le principal souci de son auteur étant moins de « gagner » à ce pays le lecteur que de lui dire une Grèce à la fois excessive et souffrante, immémoriale et balbutiante, solidement enracinée dans le temps et l’espace et on ne peut plus fragile et précaire.
J’évoquais à l’instant un rapport aux mots et aux choses toujours placé chez lui sous le signe d’une essentielle fraîcheur. Et en effet, dans ses recueils de poèmes comme dans ses livres de prose, prévaut toujours une volonté de rendre leur saveur originelle aux mots de la langue. Et cela, il le fait non à partir d’un quelconque « laboratoire » linguistique ou « cabinet d’écrivain », mais en allant aux choses mêmes – nature et monde.”
Le buveur d'horizon
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