Le soulèvement palestinien et les perspectives de règlement
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Il est encore difficile aujourd'hui d'évaluer la portée et les conséquences du soulèvement palestinien dans les territoires occupés. Le soulèvement est encore trop proche de nous et n'a même pas connu de répit ni dans son intensité ni dans ses formes. Pourtant une question centrale s'impose déjà sans attendre : quels effets peuvent découler de l'insurrection sur le processus de règlement du conflit israélo-palestinien ? Que cette question ne puisse être évitée est attesté par l'activité diplomatique provoquée par l'insurrection dès ses débuts chez toutes les parties concernées, en particulier l'Égypte, la Jordanie, les États-Unis et le Conseil de sécurité de l'ONU. Sans devoir faire de prévisions ou de paris sur l'avenir, il est donc nécessaire de faire le point sur les acquis de l'insurrection et aussi sur les blocages, les ripostes, les points d'interrogation que ces acquis suscitent ou suggèrent.

I est important au préalable de souligner la signification des événements qui secouent les territoires occupés depuis plus de trois mois. Du point de vue des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, le soulèvement constitue un saut qualitatif par rapport aux formes de lutte antérieures, l'ébranlement du mur de la peur à l'égard des capacités répressives et des visées de l'occupant, un démenti à leur prétendue résignation aux faits accomplis et à leur absence de l'arène palestinienne globale. Les Palestiniens de l'intérieur se rendent compte au contraire qu'ils doivent prendre une plus grande part dans cette arène, afin de contribuer à recentrer l'attention et les énergies des Palestiniens de l'extérieur (et aussi des autres Arabes) vers les territoires occupés. Il est à cet égard significatif de constater le lien presque causal entre le soulèvement et l'annonce de la levée du siège des camps palestiniens de Beyrouth.

Du point de vue palestinien global, il est nécessaire d'inscrire le soulèvement dans la durée. Le lendemain de la guerre de 1967 fut témoin de la mise en place de la résistance dans les territoires nouvellement occupés et de l'affirmation de la personnalité palestinienne dans les communautés de l'extérieur. Il faudra plusieurs années à la répression israélienne pour prendre le contrôle effectif de la Cisjordanie et surtout de Gaza (jusqu'en 1972), alors qu'à l'extérieur le mouvement palestinien autonome sera brisé en Jordanie, mais survivra au Liban. Après la guerre de 1973, la lutte palestinienne se manifesta à l'intérieur par la construction des institutions propres (sociales, éducationnelles, professionnelles) et à l'extérieur par l'action diplomatique internationale et le face-à-face militaire (sur le front libano-israélien), sans compter aussi la construction institutionnelle. Durant cette période 1973-82, où I'OLP était perçue par les médias comme occupant toute la scène palestinienne à cause de la « visibilité » de l'activité diplomatique et de l'affrontement militaire, les communautés palestiniennes de l'extérieur et de l'intérieur constituaient en fait la base humaine et politique sans laquelle I'OLP n'au­ rait eu aucune crédibilité dans son affirmation de l'unicité de la représentation et du programme palestiniens. N'oublions pas que durant cette période relativement longue où le processus de règlement du conflit était à l'ordre du jour, Israël et les États-Unis, dans le but de prévenir l'établissement d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, essayèrent en vain de faire admettre par les Palestiniens de l'intérieur la non-représentativité de I'OLP. La lutte politique unitaire des Palestiniens des territoires occupés se manifesta aussi chaque fois que l'identité ou la personnalité palestinienne était remise en cause par des parties arabes (Syrie, Jordanie, factions libanaises), ou que I'OLP était en proie à des dissensions internes. Aujourd'hui, alors que les perspectives de règlement sont de plus en plus bloquées et que le front militaire de l'avant-1982 a perdu une grande partie de sa substance, les Palestiniens de l'intérieur semblent vouloir jouer, dans le cadre du mouvement palestinien global, le rôle qu'exigent les nouvelles circonstances.

Le soulèvement parait ainsi constituer pour le mouvement palestinien la forme de riposte la plus adaptée à ce blocage. II témoigne du caractère vital de cette riposte et, aussi, de la vitalité du mouvement malgré tous les échecs antérieurs. Par ailleurs, que ce soit dans ses implications, ou dans ses mots d'ordre explicites, le soulèvement montre que la question palestinienne est incontournable et que sa solution passe par ses représentants reconnus et non par des substituts comme la Jordanie. Ce fait demeure vrai même si les revendications qui sous-tendent le soulèvement palestinien ne correspondent pas au rapport de forces régional, même si à l'incapacité des Arabes se conjugue le refus d'Israël et des États-Unis. Considérons chacun de ces trois acteurs d'un peu plus près.

C'est à Israël qu'est lancé en premier lieu le nouveau défi palestinien. Si ce défi est dans l'ordre des choses et qu'il était prévisible pour l'avenir plus ou moins lointain par une simple lecture de la carte démographique. Son avènement aujourd'hui hâte pour Israël la prise en compte des coûts de l'occupation. Les coûts extérieurs d'abord pour la diplomatie d'Israël et aussi pour sa perception de sa sécurité régionale : l'immobilisme dans le processus du règlement peut sécréter des conditions politiques régionales (en particulier en Égypte et en Jordanie) défavorables à Israël. Ceci est aléatoire bien sûr, mais ce qui l'est moins, c'est en cas d'immobilisme l'accroissement des coûts directs et quotidiens de l'occupation dans les années à venir. Même si l'insurrection prend provisoirement fin dans les pro­ chaines semaines, le système de contrôle israélien aura été cassé et il faudra pour le reconstruire investir de nouveaux instruments administratifs (dont le renseigne­ ment), financiers, humains (dont les implantations}, politiques et militaires. La perspective de tels coûts pour le court et le moyen termes, alors que la réussite n'est pas garantie, est un facteur négatif que les dirigeants israéliens ne peuvent plus ignorer. Contrairement aux analyses de Meron Benvenisti, les événements récents prouvent que la Cisjordanie et Gaza demeurent, matériellement et psycho­ logiquement, pour toutes les parties concernées (et en particulier pour les Israéliens et les Palestiniens) des territoires sous occupation et ne sont pas nécessairement sur la voie irréversible de l'intégration à Israël, malgré la politique d'implantation et l'idéologie d'annexion.

Le niveau actuel de l'insurrection des Palestiniens et la perspective des coûts que leur contrôle requerra dans le futur ne sont naturellement pas suffisants en eux-mêmes pour porter Israël, dans le cadre du gouvernement de coalition actuel, à se lancer durant les mois qui viennent dans une négociation sérieuse sur l'avenir de Cisjordanie et de Gaza. Mais en plus du trouble que l'insurrection pourra causer dans une frange non négligeable de l'opinion israélienne, il n'y a pas de doute sur le fait que les territoires constitueront cette fois l'objet central du débat précédant les élections de novembre prochain. Cela signifie qu'il y aura probable­ ment une forte pression sur les partis en compétition, et surtout sur le parti travailliste, pour qu'ils définissent avec plus de précision leur conception de l'avenir des territoires occupés.[1] Pour le moment, cette pression en faveur de la clarification des positions n'est pas favorable aux travaillistes, puisque les événements de ces deux derniers mois suggèrent un durcissement de l'opinion publique israélienne en faveur du Likoud. Il faut se garder cependant des projections hâtives quant aux tendances de l'opinion publique d'ici aux élections : si l'insurrection palestinienne semble renforcer dans un premier temps un durcissement israélien, il est bien possible que dans un deuxième temps, l'intensification éventuelle de l'insurrection amène à une polarisation intérieure plus favorable aux travaillistes. N'oublions pas enfin que cette polarisation dépend pour beaucoup d'événements extérieurs, tels que le lancement d'initiatives diplomatiques internationales.

Au-delà des divergences entre le parti travailliste et le Likoud, il faut dire que les deux partis demeurent éloignés des conditions d'une relance sérieuse du processus du règlement. Ne parlons pas du Likoud qui préfère le statu quo, à défaut d'une résignation palestinienne à une autonomie limitée sous souveraineté israélienne. A moins d'un changement inattendu, les travaillistes eux-mêmes semblent privilégier l'idée d'un condominium jordano-israélien (la Jordanie pour contrôler la population, Israël pour surveiller militairement les territoires). Ceci explique le refus des travaillistes d'une délégation autre que jordano-palestinienne : non seulement est rejetée l'idée d'une délégation de I'OLP à la table des négociations, mais aussi celle d'une représentation palestinienne autonome issue des territoires occupés et indépendante de la Jordanie. Même si Shimon Pérès arrive à imposer ses vues en Israël, peut-il espérer la mise en place d'une négociation israélo-jordanienne dans laquelle ni I'OLP ni les « lanceurs de pierres » palestiniens de l'intérieur ne se reconnaîtraient ? Rien n'indique qu'Amman, en supposant qu'il le veuille, puisse adhérer à un tel processus. C'est d'ailleurs cela l'acquis de l'insurrection : les dirigeants travaillistes peuvent moins que jamais espérer simultanément l'ouverture officielle d'une négociation dans les prochains mois et l'étouffement d'une voix palestinienne autonome dans cette même négociation.

On peut bien sûr, en dehors de toute négociation officielle avec Amman, penser à l'éventualité de ce qui constituerait, au moins temporairement, un terrain commun au parti travailliste et au Likoud du fait d'une tentative de persuasion de l'administration américaine : des « éléments » d'autonomie limitée accordés unilatéralement aux Palestiniens des territoires occupés, pour améliorer suivant la formulation de Shultz « la qualité de leur vie », à condition bien sûr que leurs dirigeants locaux « jouent le jeu » et garantissent l'ordre public. L'adoption de cette éventualité par Israël semble cependant très peu probable, d 'autant plus que nous voyons mal comment les dirigeants israéliens géreraient avec crédibilité les inévitables questions qui irritent le plus la vie quotidienne des Palestiniens : les implantations, le voisinage insolent des implantations existantes puisque établies sur des terres expropriées, les détentions arbitraires, les contrôles administratifs et militaires dégradants, les permis de construction, de création d'entreprises, d'exportation, de développement urbain, d'équipement collectif, d'utilisation de l'eau, de déplacement, les taxes, les entraves au fonctionnement normal des universités et des écoles, sans parler des limites à la liberté d'expression... Les dirigeants israéliens ne se condamneraient-ils pas à une acrobatie impossible si, pour régler chacune de ces questions d'une façon différenciée et précise. Ils ne veulent ni susciter leurs propres divisions internes ni accroître les frustrations palestiniennes, et s'ils ne peuvent ni annexer les territoires ni reconnaître le droit à l'autodétermination ? « L'amélioration de la qualité de vie » comme ligne politique directrice parait par conséquent un leurre.

A défaut de pas positifs vers les Palestiniens, ce que suggère, en revanche, la dynamique de l'insurrection actuelle et son éventuelle intensification, c'est un mélange de mesures répressives et de concessions forcées de la part d'Israël. Les mesures répressives continueront probablement à constituer la ligne directrice israélienne. Les concessions forcées pourraient être ce que les Palestiniens arriveraient à arracher au contrôle israélien, de façon plus ou moins limitée et de facto. Ceci est suggéré par quelques constatations sur le terrain : lassitude fréquente des Israéliens à ouvrir de force des magasins en grève, à pénétrer dans les camps, les quartiers et les villages sauf pour des perquisitions ; développement de l'encadrement palestinien dans des institutions nombreuses ou insaisissables... Dans un affrontement de volontés où la supériorité militaire israélienne n'est pas toujours pertinente, les Palestiniens peuvent marquer des points dont on ne peut être sûr à l'avance s'ils seront, en totalité ou en partie, implicitement reconnus, neutralisés, ou annulés par Israël. Nul ne peut prévoir quels types de relations et d'interactions sur le terrain naîtront entre occupants et occupés et quel mélange de contrôle répressif israélien et de contrôle institutionnel palestinien s'instaurera effectivement. Pour que ces interactions deviennent plus favorables aux « occupés », il nous semblerait que l'insurrection doive gagner plus en approfondissement organisationnel et en extension géographique qu'en escalade armée.

Il ne faudrait pas cependant croire que cette dynamique soit la seule possible sur le terrain. Une autre lecture pourrait faire apparaître d'autres « règles du jeu » dans les événements actuels. Si, en effet, nous replaçons ces derniers dans la longue durée, on pourrait n'y voir qu'une autre étape de la résistance palestinienne au pro]et israélien d'appropriation de toute la Palestine, projet qui, lui, demeure­ rait le ' fait prédominant. Ce n'est pas seulement contre le statu quo et l'immobilisme diplomatique que les Palestiniens s'insurgent, mais contre la poursuite inexorable de la stratégie de dépossession israélienne. N'est-il pas dans la logique de cette stratégie matérialisée depuis 1967 (pour ne pas remonter aux débuts du sionisme) par l'expropriation des terres, la multiplication des implantations, leur peuplement par des colons, de remplacer les Palestiniens par les Israéliens ? Si le contrôle des Palestiniens devient de plus en plus difficile pour Tel-Aviv, est-il exagéré de penser que ce que certains appellent le « transfert de masse » des Palestiniens vers l'extérieur pourrait venir plus hâtivement à l'ordre du jour ? Des sondages récents indiquent qu'une partie notable de l 'opinion publique israélienne y est favorable. Mais si l'on ne veut pas aller dans le pessimisme jusque-là, est-il possible de considérer avec sérénité l'intention déclarée des dirigeants israéliens de faire de telle sorte que leur armée inspire la crainte chez les Palestiniens ? De l'escalade dans l'affrontement violent à la crainte puis à la panique en passant par des « bavures », la gradation peut être rapide ou soudaine et avoir des effets locaux et régionaux dont il est impossible d'imaginer les contours. Comme le dit le journaliste israélien Yoel Marcus (Haaretz, 5 janvier 1988), « l'alternative à l'immobilisme est l'utilisation d'une force destructrice, les massacres, l'expulsion, la répression et l'établissement de centres de regroupement ... »

Face à Israël, et en l'absence probable de disponibilité israélienne à l'ouverture d'un processus acceptable de règlement, les acquis sur le terrain de l'insurrection palestinienne ne sont donc pas définitifs. Ils peuvent être renversés et remplacés par de nouvelles données qui contiendront à leur tour leurs ingrédients imprévisibles d'acquis et de blocages. Mais qu'en est-il par rapport à l'extérieur d'Israël et des territoires occupés, c'est-à-dire au niveau du monde arabe et à celui de la scène internationale ? L'insurrection palestinienne est-elle susceptible de provoquer une pression internationale de nature à infléchir la politique de refus d'Israël ? C'est ce qu'il nous faut aborder maintenant.

La situation du monde arabe, pour commencer, ne porte pas à l'optimisme. On sait que c'est en quelque sorte pour surmonter les conséquences de cette situation qui reléguait la question palestinienne à l'oubli et qui est symbolisée par le sommet d'Amman de novembre dernier, que les Palestiniens de l'intérieur ont changé qualitativement les formes de leur lutte. Il est bien sûr extrêmement difficile, aujourd'hui et même dans l'avenir, d'évaluer l'influence réelle de l'insurrection et son effet mobilisateur sur les opinions publiques arabes. Mais au niveau officiel, l'insurrection n'a pas joui de plus qu'une approbation rhétorique. Certes, on pourra dire qu'elle a déjà suscité une intense activité diplomatique de la part de la Jordanie et de l'Égypte. Cependant, outre que cette activité vise tout autant la stabilité intérieure dans ces deux pays que la convocation de la conférence internationale, elle ne change en rien ce qui est en faveur d'Israël dans la politique américaine ou le rapport de forces régional. La Jordanie, de par sa faiblesse, ne peut pas être un acteur international, influent. Seule sa place dans la question palestinienne lui donne une dimension internationale, mais seulement en tant que récipient d'initiatives venues de l'extérieur. L'Égypte, quant à elle, malgré son retour arabe pour des raisons non liées à la question palestinienne (mais au conflit du Golfe), n'a pas retrouvé son statut de leader du monde arabe. Plus précisé ment, quand l'Égypte s'adresse aux États-Unis, elle ne peut le faire avec tout le poids arabe derrière elle. Dépourvue de moyens de pression, demandeur sur le plan économique, elle n'a à opposer à Washington qu'une argumentation sur les risques d'instabilité interne et régionale en cas d 'immobilisme dans le processus de règlement, argumentation que les Américains sont las d'entendre depuis des décennies de la part de leurs alliés arabes.

Reste enfin la Syrie, autre acteur important dans le conflit israélo-arabe. A part le Liban, le premier souci de la Syrie est de rester un interlocuteur privilégié des pays du Golfe et des grandes puissances pour ce qui concerne les grandes questions de la région. Mais face à Israël, et pour ce qui concerne l'avenir du Golan et des territoires palestiniens occupés. La Syrie ne se sent ni prête ni pressée : si ce n'est la parité stratégique, c'est du moins une place centrale (par rapport aux autres pays arabes) et suffisamment forte (par rapport à Israël) qu'elle voudrait d'abord assurer dans une négociation éventuelle avec Tel-Aviv. La tenue éventuelle d'une conférence internationale dont il est question depuis plus d'un an ne lui promet pas la place à laquelle elle aspire. Pour la Syrie, la perspective d'une telle conférence impliquerait une détente, si ce n'est une coopération entre Moscou et Washington sur le Moyen-Orient, donc une plus grande difficulté à jouer une puissance contre une autre. Elle impliquerait aussi. De façon concomitante, une participation active de l'Égypte qui verrait ainsi son attitude réhabilitée et récompensée, ce qui diminuerait d'autant la place de la Syrie dans la négociation sur la question palestinienne. Sans pouvoir s'opposer à l'idée d'une conférence internationale à cause de la participation soviétique, la Syrie ne ferait donc rien pour encourager sa tenue, et préfère voir les autres parties (surtout Israël) prendre la responsabilité de s'y opposer.

Le système arabe ne semble donc pas apte ou prêt aujourd'hui à répercuter sur la scène internationale les acquis de l'insurrection palestinienne. Son effet sur les États-Unis, en particulier, reste marginal. Certes Washington se trouve interpellé par le monde arabe et par le soulèvement palestinien pour inclure la question palestinienne dans son ordre du jour, mais l'évolution de son attitude dépend plus directement de son dialogue actuel avec Moscou (les armes stratégiques, la guerre irako-iranienne, l'Afghanistan) et de l'intimité de ses relations avec Tel-Aviv. En ce qui concerne le dialogue Washington-Moscou, il est possible de penser qu'un progrès sur les questions susmentionnées pourrait amener à une attitude américaine plus positive à propos de la conférence internationale, mais aussi peut-être à des contreparties soviétiques plus favorables à Israël (sur la représentation palestinienne, l'émigration juive, les relations diplomatiques...). Tout cela reste bien sûr dans le domaine de la conjecture et dépend peu du soulèvement palestinien, sauf dans son inscription à l'ordre du jour des négociations entre les deux Grands.

Quoi qu'il en soit, tout progrès américano-soviétique sur le conflit israélo-arabe reste subordonné en fin de compte à la qualité des relations américano-israéliennes. Aujourd'hui Washington ne veut ni n'est en situation de faire pression sur Tel-Aviv. L'administration américaine se trouve guidée dans son attitude par ce qui est acceptable au sein du Congrès et de la communauté juive américaine et par l'étroite brèche ouverte par les divergences entre les deux partis de la coalition gouvernementale israélienne. Elle ne veut donc pas aller au-delà des conseils à prodiguer aux Israéliens et ne voudrait surtout pas leur suggérer que ses efforts impliquent une quelconque menace de pression ou de sanction. Et comme elle veut donner à Tel-Aviv des gages de bonne volonté, elle reste passive devant la décision du Congrès de fermer le bureau de I'OLP à New-York, siège de l'ONU. Si dans le meilleur des cas, ses conseils arrivent à persuader un gouvernement israélien réticent, il est difficile d'imaginer comment elle peut à court terme mettre en place des négociations israélo-jordaniennes dont serait bannie l'OLP, négociations qui auraient été pourtant suscitées par l'insurrection de la base palestinienne de l'OLP en Cisjordanie et Gaza.

Dans les conditions actuelles, l'évolution de la position israélienne et de l'attitude américaine, à moins de provenir d'un rééquilibrage improbable du rapport des forces régional, ne peut être liée qu'à une plus grande sensibilité des communautés juives dans le monde, et en particulier aux États-Unis, au tort historique causé au peuple palestinien par l'établissement d 'Israël en 1948 et l'occupation des autres territoires palestiniens en 1967. Les États-Unis sont trop guidés par des considérations stratégiques à court terme et par des calculs électoralistes pour être capables d'une telle sensibilité. Israël est trop absorbé par ses luttes internes, trop confiant dans sa supériorité militaire, et en même temps trop peureux de se délégitimer à ses propres yeux, pour admettre le tort causé aux Palestiniens. Seuls les juifs de la Diaspora, ceux surtout des États-Unis, qui jouissent du recul nécessaire et ont le sentiment que leur engagement envers Israël est un engagement moral, peuvent être à même d'appliquer les mêmes critères moraux aux droits palestiniens, et donc d'influencer Washington et Tel-Aviv dans le sens de la reconnaissance du droit à l'autodétermination palestinienne en Cisjordanie et à Gaza. Nul doute que le soulèvement palestinien a déjà suscité des signes dans cette direction au sein des communautés juives. Ces signes, quoique encourageants, demeurent toutefois insuffisants.

Au total, le soulèvement palestinien apparaît bien plus important dans sa signification profonde ou ses implications que dans sa portée à court terme. En ce qui concerne en particulier le processus de règlement, les perspectives paraissent plutôt fermées. L'OLP, pour des raisons liées à la situation israélienne et à la conjoncture internationale ainsi qu'à son propre mode de décision et à ses relations interarabes pourra difficilement transformer en acquis diplomatiques tangibles les acquis du soulèvement sur le terrain. Mais il faut ajouter que si, pour une raison ou pour une autre, le processus de règlement devient à court ou à moyen terme possible, l'insurrection aura placé le mouvement palestinien en bonne position pour négocier la mise en œuvre du droit à l'autodétermination. Quant au long terme, nous ne nous risquerons pas, bien sûr, à trancher. Mais là aussi, et quelles que puissent être les conséquences futures du soulèvement palestinien, il demeurera un point de référence central dans la mémoire palestinienne.

 

[1] Une conséquence latérale, mais importante, de l'insurrection serait de hâter l'homogénéisation du « vote arabe » à la Knesset et son autonomie par rapport aux deux grands partis israéliens.